Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 2.djvu/342

Cette page a été validée par deux contributeurs.
330
LE LIBRE-ÉCHANGE

dignation générale, et c’est précisément pour mieux prévenir ces extorsions que les gouvernements ont été établis.

Ceci montre, Messieurs, que le droit de propriété est antérieur à la loi. Ce n’est pas la loi qui a donné lieu à la propriété, mais, au contraire, la propriété qui a donné lieu à la loi. Cette observation est importante ; car il est assez commun, surtout parmi les juristes, de faire reposer la propriété sur la loi, d’où la dangereuse conséquence que le législateur peut tout bouleverser en conscience. Cette fausse idée est l’origine des plans d’organisation dont nous sommes inondés. Il faut dire, au contraire, que la loi est le résultat de la propriété, et la propriété, le résultat de l’organisation humaine.

Mais le cercle de la propriété s’étend et se consolide avec la civilisation. Plus la race humaine est faible, ignorante, passionnée, violente, plus la propriété est restreinte et incertaine.

Ainsi, chez les sauvages dont je parlais tout à l’heure, quoique le droit de propriété soit reconnu, l’appropriation du sol ne l’est pas ; la tribu en jouit en commun. À peine même une certaine superficie de terre est-elle reconnue comme propriété à chaque tribu par les tribus voisines. Pour constater ce phénomène, il faut rencontrer un degré plus élevé de civilisation et observer les peuples partout.

Aussi qu’arrive-t-il ? c’est que, dans l’état sauvage, la terre n’étant point personnellement possédée, tous recueillent les fruits spontanés qu’elle donne, mais nul ne songe à la travailler. Dans ces contrées, la population est rare, misérable, décimée par la souffrance, la maladie et la famine.

Chez les nomades, les tribus jouissent en commun d’un espace déterminé ; on peut au moins élever des troupeaux. La terre est plus productive, la population plus nombreuse, plus forte, plus avancée.

Au milieu des peuples civilisés, la propriété a franchi le