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morales que lui a arrachées ce succès digne de la bénédiction des peuples. Et pourquoi ces sueurs, ces difficultés, ces résistances dans une si noble tâche ? Parce qu’à un moment donné la paix n’avait pas pour elle l’opinion publique. Et pourquoi n’avait-elle pas l’opinion ? Parce qu’elle ne convenait pas à certains journaux. Et pourquoi ne convenait-elle pas à certains journaux ? Parce qu’elle était importune à tel député. Et pourquoi enfin était-elle importune à ce député ? Parce que la paix était la politique des ministres, et qu’alors la guerre est nécessairement celle des députés qui aspirent à le devenir. Là est certainement la racine du mal.

Parlerai-je d’Ancône, des fortifications de Paris, d’Alger, des événements de 1840, du droit de visite, des tarifs, de l’anglophobie et de tant d’autres questions, où le journalisme égarait l’opinion, non qu’il s’égarât lui-même, mais parce que cela entrait dans ses plans froidement prémédités, dont le succès importait à quelque combinaison ministérielle.

J’aime mieux consigner ici les aveux du journalisme lui-même proclamés par le plus répandu de ses organes, la Presse (17 novembre 1845).

« M. Petetin décrit la presse comme il la comprend, comme il se plaît à la rêver. De bonne foi, croit-il que lorsque le Constitutionnel, le Siècle, etc., s’attaquent à M. Guizot, que lorsqu’à son tour le Journal des Débats s’en prend à M. Thiers, ces feuilles combattent uniquement pour l’idée pure, pour la vérité, provoquées par le besoin intérieur de la conscience ? Définir ainsi la presse, c’est la peindre telle qu’on l’imagine, ce n’est pas la peindre telle qu’elle est. Il ne nous en coûte aucunement de le déclarer, car si nous sommes journalistes, nous le sommes moins par vocation que par circonstance. Nous voyons tous les jours la presse au service des passions humaines, des ambitions rivales, des combinaisons ministérielles, des intrigues parlementaires, des calculs politiques les plus divers, les plus opposés, les moins nobles ; nous la voyons s’y associer étroitement. Mais nous la voyons rarement au service des idées ; et quand par hasard il arrive à un journal de s’emparer d’une idée, ce n’est jamais pour elle-même, c’est toujours comme instrument de défense ou d’attaque ministérielle. Celui qui écrit ces lignes parle ici avec expérience. Toutes les fois qu’il a essayé de faire sortir le journalisme de