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interlocuteur. Dans les discussions sérieuses, il était modeste, conciliant, plein d’aménité dans sa fermeté de convictions. Rien dans sa parole ne sentait le discours ou la leçon. En général, son opinion finissait par entraîner l’assentiment général ; mais il n’avait pas l’air de s’apercevoir de son influence. Ses manières et ses habitudes étaient d’une extrême simplicité. Comme les hommes qui vivent dans leur pensée, il avait quelque chose souvent de naïf et de distrait : L. Leclerc l’appelait le La Fontaine de l’économie politique. Il convenait en riant qu’il n’avait jamais été de la rue de Choiseul au Palais-Royal sans se tromper de chemin. Un jour qu’il était parti pour aller faire un discours à Lyon, il se trouvait débarqué dans un cabaret au fond des Vosges. Pour tout ce qui s’appelle affaires, il était d’un laisser-aller d’enfant. Sa bourse était ouverte à tout venant, quand il était en fonds ; il n’y a pas d’auteur qui ait moins tiré parti de ses livres. Le détail matériel des choses lui était antipathique ; jamais il n’a su prendre une précaution pour sa santé ; jamais il n’a voulu s’occuper d’une annonce ou d’un compte-rendu pour ses ouvrages. Il était si ennemi de charlatanisme en tout, il craignait tellement d’engager son indépendance dans l’engrenage des coteries, qu’après cinq ans de séjour à Paris, il ne connaissait pas un des écrivains de la presse quotidienne. Aussi les comptes-rendus de journaux sur les livres de Bastiat sont-ils extrêmement rares. Le Journal des économistes, lui-même, attendit six mois avant de parler des Harmonies, et son article ne fut qu’une réfutation.

Nous avons déjà dit, je crois, que Bastiat écrivait avec une extrême facilité. On le devine à la netteté remarquable de ses manuscrits, où la plume semble, la plupart du temps,