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le livre de l’humanité s’ouvre devant elle. Mais c’est un tourment de plus, puisque je ne puis transcrire aucune page de ce livre mystérieux sur un livre plus palpable… »

Dès le printemps de 1850, en effet, la maladie de poitrine contre laquelle il se débattait depuis longtemps avait fait des progrès graves. Les eaux des Pyrénées, qui l’avaient sauvé plusieurs fois, aggravèrent son mal. L’affection se porta au larynx et à la gorge : la voix s’éteignit, l’alimentation, la respiration même devinrent excessivement douloureuses. Au commencement de l’automne, les médecins l’envoyèrent en Italie. Au moment où il y arrivait, le bruit prématuré de sa mort s’était répandu, et il put lire dans les journaux les phrases banales de regret sur la perte du « grand économiste » et de « l’illustre écrivain. » Il languit quelque temps encore à Pise, puis à Rome. Ce fut de là qu’il envoya sa dernière lettre au Journal des Économistes[1]. M. Paillottet, qui avait quitté Paris pour aller recueillir les dernières instructions de son ami, nous a conservé un journal intéressant de la fin de sa vie[2]. Cette fin fut d’un calme et d’une sérénité antiques. Bastiat sembla y assister en spectateur indifférent, causant, en l’attendant, d’économie politique, de philosophie et de religion. Il voulut mourir en chrétien : « J’ai pris, disait-il simplement, la chose par le bon bout et en toute humilité. Je ne discute pas le dogme, je l’accepte. En regardant autour de moi, je vois que sur cette terre les nations les plus éclairées sont dans la foi chrétienne ; je suis bien aise de me trouver en communion avec cette portion du genre humain. » Son in-

  1. Page 209.
  2. On trouvera quelques extraits de ce journal à la suite de cette notice.