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faveur ! » Poursuivre un but qu’on déclare impossible par des moyens qu’on reconnaît absurdes, tomber dans l’abîme, y entraîner le pays et s’écrier : « Les faits m’ont donné raison, » c’est donner au monde le scandale d’un excès d’impéritie, en même temps que d’immoralité, dont l’histoire des plus affreux tyrans ne fournirait pas un autre exemple[1].

Donc le régime prohibitif est une cause permanente de guerre ; je dirai plus, de nos jours c’est à peu près la seule. Les guerres de spoliation directe, comme celles des Romains, celles qui ont pour objet de procurer des esclaves et d’imposer des croyances religieuses, d’augmenter le patrimoine d’une famille princière, ne sont plus de notre siècle. Aujourd’hui on se bat pour des débouchés, et si ce but n’est pas aussi naïvement odieux, il est certes plus puéril que les autres. On déteste, mais on comprend l’emploi de la force pour acquérir du butin, des esclaves, des vassaux, du territoire. Mais pour ouvrir des débouchés, ce n’est pas de la force, c’est de la liberté qu’il faut ; et cela est si vrai, que, de l’aveu même des partisans du système exclusif, le triomphe absolu d’une nation, s’il était possible, n’aurait pour résultat commercial que de lui assimiler toutes les autres et par conséquent de réaliser la liberté absolue du commerce.

Un nouveau Cinéas serait bien plus fondé à dire au peuple qui aspirerait, par la conquête, au monopole universel, ce que le Cinéas ancien disait à Pyrrhus : « Que ferez-vous quand vous aurez vaincu l’Italie ? — Je la forcerai à recevoir mes produits en échange des siens. — Et ensuite ? — La Sicile touche à l’Italie ; je la soumettrai. — Et après ? — Je rangerai sous mes lois l’Afrique, l’Inde, la Chine, les îles de la mer du Sud. — Mais enfin que ferez-vous quand le monde entier sera votre colonie ? — Oh ! alors j’échangerai librement, et jouirai du repos. — Et que n’échan-

  1. V. au t. IV, les pages 379 et 380. (Note de l’éditeur.)