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nûment, la privation, et sans doute aussi les passions mauvaises et dangereuses, s’étendront sur tous les points du territoire et sur toutes les classes de la société.

Je ne doute pas qu’on ne s’efforce de jeter du ridicule sur ces tristes prévisions. Mais peut-on raisonnablement accuser d’aspirer au rôle de prophète l’écrivain qui se borne à exposer les conséquences nécessaires du fait sur lequel il raisonne ? — Et après tout, quelle est ma conclusion ? que nous marchons vers le dénûment. Or, c’est là non-seulement l’effet, mais encore, nous l’avons vu, le but avoué de la protection, car elle ne prétend pas aspirer à autre chose qu’à favoriser le producteur, c’est-à-dire à produire législativement la cherté. Or, cherté, c’est rareté ; rareté, c’est l’opposé d’abondance ; et l’opposé d’abondance, c’est le dénûment.

Et puis, est-il vrai ou n’est-il pas vrai que, même en ce moment où une législation vicieuse tient en Angleterre les moyens de subsistance à haut prix, notre industrie lutte péniblement contre celle des Anglais ? Si cela est vrai, que sera-ce donc quand cette législation réformée aura fait disparaître, de leur côté, cette cause d’infériorité relative ? Si cela n’est pas vrai, si nous sommes sans rivaux, si nous jouissons des conditions de production les plus favorables, sur quoi se fonde la protection ? qu’a-t-elle à dire pour sa justification ?

§ IV. — Sécurité. — On peut dire qu’un peuple dont l’existence repose sur le système colonial et sur des possessions lointaines n’a qu’une prospérité précaire et toujours menacée, comme tout ce qui est fondé sur l’injustice. Une conquête excite naturellement contre le vainqueur la haine du peuple conquis, l’alarme chez ceux qui sont exposés au même sort, et la jalousie parmi les nations indépendantes. Lors donc que, pour se créer des débouchés, une nation a recours à la violence, elle ne doit point s’aveugler : il faut