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tribune ; ce fut souvent pour lui une dure épreuve d’être ainsi cloué sur son banc. Mais ces discours rentrés sont devenus les Pamphlets, et nous avons gagné à ce mutisme forcé des chefs-d’œuvre de logique et de style. Il lui manquait beaucoup des qualités matérielles de l’orateur ; et pourtant sa puissance de persuasion était remarquable. Dans une des rares occasions où il prit la parole — à propos des incompatibilités parlementaires, — au commencement de son discours il n’avait pas dix personnes de son opinion, en descendant de la tribune il avait entraîné la majorité ; l’amendement était voté, sans M. Billault et la commission qui demandèrent à le reprendre, et en suspendant le vote pendant deux jours, donnèrent le temps de travailler les votes. Bastiat a défini lui-même sa ligne de conduite dans une lettre à ses électeurs : « J’ai voté, dit-il, avec la droite contre la gauche, quand il s’est agi de résister au débordement des fausses idées populaires. — J’ai voté avec la gauche contre la droite, quand les griefs légitimes de la classe pauvre et souffrante ont été méconnus. »

Mais la grande œuvre de Bastiat, à cette époque, ce fut la guerre ouverte, incessante, qu’il déclara à tous ces systèmes faux, à toute cette effervescence désordonnée d’idées, de plans, de formules creuses, de prédications bruyantes, dont le tohu-bohu nous rappela pendant quelques mois ce pays Rabelaisien où les paroles dégèlent toutes à la fois. Le socialisme, longtemps caressé par une grande partie de la littérature, se dessinait avec une effrayante audace ; il y avait table rase absolue ; les bases sociales étaient remises en question comme les bases politiques. Devant la phraséologie énergique et brillante de ces hommes ha-