phénomène bien rare dans l’histoire de l’esprit humain, et bien propre à faire goûter les délices de la certitude.
C’est dire que je ne revendique pas le titre d’inventeur à l’égard de l’harmonie. Je crois même que c’est la marque d’un petit esprit, incapable de rattacher le présent au passé, que de se croire inventeur de principes. Les sciences ont une croissance comme les plantes ; elles s’étendent, s’élèvent, s’épurent. Mais quel successeur ne doit rien à ses devanciers ?
En particulier, l’Harmonie des intérêts ne saurait être une invention individuelle. Eh quoi ! n’est-elle pas le pressentiment et l’aspiration de l’humanité, le but de son évolution éternelle ? Comment un publiciste oserait-il s’arroger l’invention d’une idée, qui est la foi instinctive de tous les hommes ?
Cette harmonie, la science économique l’a proclamée dès l’origine. Cela est attesté par le titre seul des livres physiocrates. Sans doute, les savants l’ont souvent mal démontrée ; ils ont laissé pénétrer dans leurs ouvrages beaucoup d’erreurs, qui, par cela seul qu’elles étaient des erreurs, contredisaient leur foi. Qu’est-ce que cela prouve ? que les savants se trompent. Cependant, à travers bien des tâtonnements, la grande idée de l’harmonie des intérêts a toujours brillé sur l’école économiste, comme son étoile polaire. Je n’en veux pour preuve que cette devise qu’on lui a reprochée : Laissez faire, laissez passer? Certes, elle implique la croyance que les intérêts se font justice entre eux, sous l’empire de la liberté.
Ceci dit, je n’hésite pas à rendre justice à M. Carey. Il y a peu de temps que je connais ses ouvrages ; je les ai lus fort superficiellement, à cause de mes occupations, de mes souffrances, et surtout à cause de la singulière divergence qui, en fait de méthode, caractérise l’esprit anglais et l’esprit français. Nous généralisons, et c’est ce que nos voisins dédaignent. Eux vont particularisant à travers des milliers