Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 1.djvu/25

Cette page a été validée par deux contributeurs.

la littérature anglaise, avait souvent des lances à rompre à ce propos. Un jour, le plus anglophobe des habitués l’aborde en lui présentant d’un air furieux un des deux journaux que recevait le cercle : « Lisez, dit-il, et voyez comment vos amis nous traitent !… » C’était la traduction d’un discours de R. Peel à la Chambre des communes ; elle se terminait ainsi : « Si nous adoptions ce parti, nous tomberions, comme la France, au dernier rang des nations. » L’insulte était écrasante, il n’y avait pas un mot à répondre. Cependant, à la réflexion, il sembla étrange à Bastiat qu’un premier ministre d’Angleterre eût de la France une opinion semblable, et plus étrange encore qu’il l’exprimât en pleine Chambre. Il voulut en avoir le cœur net, et sur-le-champ il écrivit à Paris pour se faire abonner à un journal anglais, en demandant qu’on lui envoyât tous les numéros du dernier mois écoulé. Quelques jours après, The Globe and Traveller arrivait à Mugron ; on pouvait lire le discours de R. Peel en anglais ; les mots malencontreux comme la France n’y étaient pas, ils n’avaient jamais été prononcés.

Mais la lecture du Globe fit faire à Bastiat une découverte bien autrement importante. Ce n’était pas seulement en traduisant mal que la presse française égarait l’opinion, c’était surtout en ne traduisant pas. Une immense agitation se propageait sur toute l’Angleterre, et personne n’en parlait chez nous. La ligue pour la liberté du commerce faisait trembler sur sa base la vieille législation. Pendant deux ans, Bastiat put suivre avec admiration la marche et les progrès de ce beau mouvement ; et l’idée de faire connaître et peut-être imiter en France cette magnifique réforme vint le mordre au cœur vaguement. C’est sous cette impres-