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Paris, 20 mars 1847.

Mon cher ami, j’étais bien en peine et même bien surpris de ne pas recevoir de vos nouvelles. Je me disais : Le free-trade atmosphère de l’Italie lui aurait-elle fait oublier notre région prohibitionniste ? chaque jour je pensais à vous écrire ; mais où vous trouver, à qui adresser mes lettres ? Enfin, je reçois la vôtre du 7. — Après m’être réjoui d’apprendre que vous jouissez, ainsi que madame Cobden, d’une bonne santé, j’éprouve une autre satisfaction, celle de voir l’Italie si avancée dans la bonne doctrine. Ainsi ma pauvre France, si en avant des autres nations sous tant de rapports, se laisse distancer en économie politique. Mon orgueil national devrait en souffrir, mais je vous le dis, mon ami, bien bas et à l’oreille, j’ai peu de ce patriotisme, et si ce n’est pas mon pays qui projette la lumière, je désire au moins qu’elle brille dans d’autres cieux. Amica patria, sed magis amica veritas ; et je dis à la paix, au bonheur de l’humanité, à la fraternité des peuples, comme Lamartine à l’enthousiasme :

Viens du couchant ou de l’aurore.

Je vous écris, mon cher Cobden, deux heures avant mon départ pour Mugron où m’appelle, en toute hâte, la sérieuse maladie d’une vieille tante qui m’a servi de mère depuis que j’eus le malheur, dans mon enfance, de perdre la mienne. Pendant mon absence comment ira notre journal ? je l’ignore, et mon nom n’y restera pas moins attaché ! — C’est vraiment une entreprise bien difficile, car on ne peut pas faire la moindre allusion aux passing events sans risquer de froisser la susceptibilité politique de quelque collègue. Ce soin assidu d’éviter tout ce qui peut contrarier les partis politiques — (puisque tous sont représentés dans notre association) nous prive des trois quarts de nos forces.