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composer une opposition aristocratique formidable, qui vous prépare de nouveaux combats.

Vous voulez bien me demander ce que je fais dans ma solitude. Hélas, cher Monsieur, je suis fâché d’avoir à vous répondre par ce honteux monosyllabe : Rien. — La plume me fatigue, la parole davantage, en sorte que si quelques pensées utiles fermentent dans ma tête, je n’ai plus aucun moyen de les manifester au dehors. Je pense quelquefois à notre infortuné André Chénier. Quand il fut sur l’échafaud, il se tourna vers le peuple et dit en se frappant le front : « C’est dommage, j’avais quelque chose là. » Et moi aussi, il me semble que « j’ai quelque chose là. » — Mais qui me souffle cette pensée ? Est-ce la conscience d’une valeur réelle ? est-ce la fatuité de l’orgueil ?… Car quel est le sot barbouilleur qui de nos jours ne croie avoir aussi « quelque chose là ? »

Adieu, mon cher Monsieur, permettez-moi, à travers la distance qui nous sépare, de vous serrer la main bien affectueusement.

P. S. J’ai des relations fréquentes avec Madrid, et il me sera facile d’y envoyer un exemplaire de ma traduction.


Mugron, 13 janvier 1846.

Mon cher Monsieur, quelle reconnaissance ne vous dois-je pas pour vouloir bien songer à moi, au milieu d’occupations si pressantes et si propres à exciter au plus haut point votre intérêt ! C’est le 23 que vous m’avez écrit, le jour même de cet étonnant meeting de Manchester, qui n’a certes pas de précédent dans l’histoire. Honneur aux hommes du Lancastre ! Ce n’est pas seulement la liberté du commerce que le monde leur devra, mais encore l’art éclairé, moral et dévoué de l’agitation. L’humanité connaît enfin l’instrument de toutes les réformes. — En même temps que votre lettre, m’est parvenu le numéro du Manchester Guar-