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Je ne doute pas que ces doctrines n’aient eu une influence funeste sur les idées des ouvriers et, par suite, sur leurs actes. Mais étions-nous appelés à nous prononcer sur des doctrines ? Quiconque a une croyance doit considérer comme funeste la doctrine contraire à cette croyance. Quand les catholiques faisaient brûler les protestants, ce n’était pas parce que ceux-ci étaient dans l’erreur, mais parce que cette erreur était réputée dangereuse. Sur ce principe, nous nous tuerions les uns les autres.

Il y avait donc à examiner si L. Blanc s’était rendu vraiment coupable des faits de conspiration et insurrection. Je ne l’ai pas cru, et quiconque lira sa défense ne pourra le croire. En attendant, je ne puis oublier les circonstances où nous sommes : l’état de siége est en vigueur, la justice ordinaire est suspendue, la presse est bâillonnée. Pouvais-je livrer deux collègues à des adversaires politiques au moment où il n’y a plus aucune garantie ? C’est un acte auquel je ne pouvais m’associer, un premier pas que je n’ai pas voulu faire.

Je ne blâme pas Cavaignac d’avoir suspendu momentanément toutes les libertés, je crois que cette triste nécessité lui a été aussi douloureuse qu’à nous ; et elle peut être justifiée par ce qui justifie tout, le salut public. Mais le salut public exigeait-il que deux de nos collègues fussent livrés ? Je ne l’ai pas pensé. Bien au contraire, j’ai cru qu’un tel acte ne pouvait que semer parmi nous le désordre, envenimer les haines, creuser l’abîme entre les partis, non-seulement dans l’assemblée, mais dans la France entière ; j’ai pensé qu’en présence des circonstances intérieures et extérieures, quand le pays souffre, quand il a besoin d’ordre, de confiance, d’institutions, d’union, le moment était mal choisi de jeter dans la représentation nationale un brandon de discorde. Il me semble que nous ferions mieux d’oublier nos griefs, nos rancunes, pour tra-