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Que l’aveugle à tâtons, au détour d’une rue,
Près du malade se trouva ;
Il entendit ses cris, son âme en fut émue.
Il n’est tels que les malheureux
Pour se plaindre les uns les autres.
J’ai mes maux, lui dit-il, & vous avez les vôtres :
Unissons-les, mon frère, ils seront moins affreux.
— Hélas ! dit le perclus, vous ignorez, mon frère,
Que je ne puis faire un seul pas ;
Vous-même vous n’y voyez pas :
À quoi nous serviroit d’unir notre misère ?
— À quoi ? répond l’aveugle ; écoutez. À nous deux
Nous possédons le bien à chacun nécessaire :
J’ai des jambes, & vous des yeux.
Moi, je vais vous porter ; vous, vous serez mon guide :
Vos yeux dirigeront mes pas mal assurés ;
Mes jambes, à leur tour, iront où vous voudrez.
Ainsi, sans que jamais notre amitié décide
Qui de nous deux remplit le plus utile emploi,
Je marcherai pour vous, vous y verrez pour moi.


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