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ACTE CINQUIÈME.


Le théâtre représente un vaste atelier de peinture. De grands tableaux de batailles sont attachés sur les murs. Des tableaux mythologiques sont posés sur des chevalets ; ça et là se trouve le portrait d’un des héros de l’Empire : Bonaparte, Murat, Eugène Beauharnais. Dans le fond on aperçoit la Vénus de Médicis et autres statues ; de côté on voit la rampe d’un escalier tournant.

Scène I.

ANDRÉ seul, tenant un journal à la main.

C’est un éloge !… Enfin nous l’avons emporté !
Un éloge pompeux. Vive la Vérité !
Mon bon maître ! pour lui la surprise est charmante !
Depuis bientôt deux ans, deux ans qu’on le tourmente,
C’est la première fois qu’on dit du bien de lui !
Allons, je suis content, et du moins aujourd’hui
Je ne l’entendrai pas me gronder et se plaindre !
Ah ! nous sommes sauvés s’il recommence à peindre.

(Il pose le journal sur la boîte de couleurs.)

Préparons l’atelier, et faisons un bon feu.
Il manque deux couleurs, de l’ocre et puis du bleu.
Pour un portrait de femme il faut un fond très-sombre ;
Ce jour est éclatant, faisons ici de l’ombre.

(Morin, entré depuis un instant, regarde tristement André faire ses préparatifs.
Morin est vêtu d’une longue robe de chambre en velours noir.}

Scène II.

MORIN, ANDRÉ.
Morin à part.

Mon pauvre compagnon… sa gaieté me fait mal !
(À André.)
Tiens… porte cette lettre à monsieur de Norval ;
Tu la lui remettras toi-même.

André regardant Morin.

Tu la lui remettras toi-même.Qu’il est triste !
Mais quand il aura lu…

(Morin lui fait signe de se hâter. André sort.)

Scène III

MORIN seul.

Mais quand il aura lu…L’art fait vivre l’artiste !
Eh bien, l’artiste meurt quand son art est perdu !