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Je le fais aujourd’hui pour la première fois.
J’ai longtemps combattu pour vaincre ma faiblesse ;
Mais ce talent si beau, ce cœur plein de noblesse,
Ces dons supérieurs qui partout font la loi,
M’attiraient, me charmaient, m’entraînaient malgré moi.
Je voulus demander secours à son génie…
Fol espoir, dont je fus cruellement punie.
Son esprit se calmait dans de graves travaux.
Mais mon cœur s’exaltait de ses succès nouveaux.
Ah ! c’était imprudent, je le sentis moi-même :
Il est bien dangereux d’admirer ce qu’on aime !
Je luttais vainement contre un amour fatal,
Et j’allais succomber… Mais un soir, dans un bal…
Sortant de la retraite où tu fus élevée,
Il te vit, Valentine… Alors je fus sauvée !…
Oui, depuis ce moment toi seule l’occupas.
Eh bien ! je t’aime tant… que je n’en souffris pas !
Ses soins ne me causaient ni douleur ni colère ;
Oh ! je te pardonnais, ma fille, de lui plaire.
Je me rendais justice, et, changeant de fierté,
Je mettais mon orgueil dans ta jeune beauté ;
Joyeuse, je sentais qu’en mon âme innocente
La tendresse de mère était la plus puissante ;
Moi-même t’apprenais à l’aimer chaque jour ;
Mon amour s’épurait dans ton naissant amour,
Et lorsque après un an tu devins son épouse,
Si tu me vis pleurer, si tu me vis jalouse,
Ce n’était pas de toi… mais de lui : j’avais peur,
Mon enfant, qu’il ne prît ma place dans ton cœur.

Valentine.

Ô ma mère !

Madame Guilbert.

Ô ma mère ! On blâma hautement ma conduite.
Tant que de ces propos tu ne fus pas instruite,
Je supportai ces cris, et je me résignai ;
Mais je défends enfin mon honneur indigné.

Valentine.

C’est que de tels efforts, si grandement sublimes,
Si monstrueux en bien… ressemblent à des crimes !
Le monde est effrayé des trop beaux sentiments ;