C’est ce nouveau journal que protégeait mon père,
Qui vient de renverser ce pauvre ministère.
Voyons donc… quel pathos ! Passons au feuilleton.
Il est d’Édouard Martel, homme d’esprit, dit-on.
C’est par la poésie et la gaieté qu’il brille.
(Elle lit.)
« Le Ministre et l’amant, ou la Mère et la fille. »
Ce titre est singulier, et je ne sais pourquoi
Ces seuls mots dans mon cœur ont jeté de l’effroi !
(Elle lit.)
« Madame de Lorville aimait à la folie,
» Comme on aime à trente ans, quand on n’est plus jolie,
» Un préfet… qui rêvait Chambre et conseil d’État,
» Comme on rêve à trente ans, quand on est magistrat.
» De la dame en crédit l’adresse peu commune
» Servit habilement sa rapide fortune.
» Mais un soir le mari, trouvant un billet doux,
» S’endormit inquiet… et s’éveilla jaloux.
» Il sentit le besoin, pour rassurer son âme,
» De chasser au plus tôt ses soupçons… ou sa femme !
» Mais elle, sans pâlir, lut le brûlant écrit.
» À quoi servirait donc d’être femme d’esprit,
» Si l’on ne savait point, par instinct ou par ruse,
» Trouver pour un grand crime une innocente excuse ?
» Bref, elle répondit sans le moindre embarras
» Que ce billet d’amour ne la regardait pas,
» Qu’il était… pour sa fille, et qu’il fallait très-vite
» Au ministre amoureux accorder la petite.
» Le père fut crédule, — et très-honnêtement
» La mère a marié sa fille à son amant ;
» Et l’enfant fut vendu sans trop de résistance.
» Tous trois mènent en paix une grande existence.
» Ils s’aiment à loisir, et le monde enchanté
» Bénit de leur amour l’heureuse trinité. »
Oh ! le méchant article ! Oh ! j’en suis indignée !
Dans ce honteux portrait ma mère est désignée.
Un ministre… un ancien préfet… c’est évident.
Quel mensonge odieux ! Ma mère !… Cependant…
Je crois me rappeler… Oh ! non, c’est impossible…