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Qu’il est mauvais… soudain on ne l’applaudit plus ;
S’ils disent d’un roman, œuvre d’un grand poëte,
Qu’il est sans intérêt… personne ne l’achète ;
Mais s’ils disent aussi d’un vieux fat important
Que c’est un beau génie… on le croit à l’instant.
Que de sots empaillés dont ils font de grands hommes !
Ah ! madame, aujourd’hui bien candides nous sommes ;
J’étais loin de penser jadis qu’il fût écrit
Qu’on dût nous asservir sans gloire et sans esprit.

Valentine.

Le pouvoir des journaux est nuisible peut-être
Pour celui qui le craint et veut le reconnaître ;
Mais quand on le méprise, on échappe à sa loi.

Morin.

Madame, ils font trembler de plus puissants que moi.
Vous ignorez encor jusqu’où va leur audace.

Valentine.

Leurs injures d’un jour laissent si peu de trace !
Dans leur malignité je ne vois point d’affront ;
Ils peuvent contre moi dire ce qu’ils voudront :
Que je suis intrigante, insolente, coquette ;
Que je ne sais parler que chiffons et toilette,
Que je n’ai pas d’esprit, que j’ai très-mauvais goût ;
Ces épigrammes-là ne me font rien du tout.
N’est-ce pas leur métier ? Une petite injure,
Un bon mot leur fournit deux jours de nourriture ;
Eh bien, je me résigne à cette charité ;
Je livre mes défauts à leur triste gaieté ;
Sur moi je leur permets de frapper sans scrupule ;
Je me sens généreuse en étant ridicule.
Et d’ailleurs chaque siècle a ses mauvais penchants,
Il faut faire en ce monde une part aux méchants.

Morin.

Que de raison, madame !

Valentine.

Que de raison, madame ! Ah ! je veux vous apprendre
À rire de leurs coups, pour mieux vous en défendre.
Il faut les détourner par des succès nouveaux.
En peinture on prépare encor de grands travaux.