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Valentine.

Non, non, vraiment ; restez, pour le bal je suis prête.
Personne ne m’attend, et je trouve très-doux
De passer ma soirée…

Morin.

De passer ma soirée…Avec moi ?

Valentine.

De passer ma soirée… Avec moi ? Près de vous.
Ignorez-vous combien votre nom m’intéresse ?
Au Salon j’ai souvent blâmé votre paresse.
Quoi ! pas un seul tableau qui soit signé Morin !

Morin.

Qu’attendre d’un vieillard inutile et chagrin,
Que les doctes journaux condamnent et méprisent,
Et qui n’a jamais eu de talent… ils le disent ?

Valentine.

Qu’importent les journaux ? il faut lutter contre eux.
(À part.)
Pour un peintre, en effet, je les crois dangereux :
L’artiste qui travaille a besoin qu’on le loue.
(Haut.)
Vous les craignez donc bien ? Pour moi, je vous avoue
Que je brave gaiement leur terrible pouvoir.

Morin.

Madame, en triompher serait notre devoir.
Ne nous abusons point, leurs forces sont extrêmes ;
Fatalement pour nous, sans profit pour eux-mêmes,
Ces tyrans inconnus gouvernent le pays
Et le perdent ; par eux nous sommes envahis.
C’est en vain qu’on les fuit, c’est en vain qu’on les brave ;
Ils dominent nos chefs, la Chambre est leur esclave ;
Les ministres du roi se courbent devant eux…
Et la France supporte un tel joug… c’est honteux !
Et l’on voit chaque jour des soldats, des artistes,
Des magistrats… trembler devant les journalistes !
Des juges, menacés de leur ressentiment,
Faire, par lâcheté, mentir leur jugement !
Cela se voit, madame, et c’est un beau spectacle !
Les journaux mènent tout ; leur voix est un oracle :
S’ils disent d’un acteur qui les a mal reçus