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Scène VI.

EDGAR, MORIN.
Morin.

Chez un ministre, moi ! Norval, es-tu content ?
Je fais ce que tu veux, mais j’ai peu d’espérances.

Edgar.

Pourquoi cela ?

Morin.

Pourquoi cela ? Je crains de basses concurrences.
À force d’injustice, ils m’ont découragé.
Je doute de moi-même. Ah ! je suis bien changé !
Je le sens, mon enfant, la blessure est mortelle.
Mais madame Dércourt…

Edgar.

Mais madame Dércourt…Elle vient, et c’est elle
Qui doit très-chaudement prendre vos intérêts.

Morin.

Soit ; je t’avais promis que je lui parlerais,
Me voici. Mais quel temps est-ce donc que le vôtre ?
Que ce temps misérable est différent du nôtre !
Quand on voulait de nous, on venait nous chercher,
Ah ! lui ne laissait point nos palettes sécher !
Mais nous sommes vaincus, et notre règne expire.
On nous a proclamés ganaches de l’Empire !
Oui, de nos successeurs nous sommes les bouffons,
Et vous nous préférez vos peintres de chiffons !
Certe, ils ont triomphé de choses difficiles.
À leurs chastes pinceaux les formes sont dociles.
Le nu leur faisait peur… pour sortir d’embarras,
Bref, ils ont supprimé les jambes et les bras ;
Plus de pieds paresseux et plus d’épaules blanches,
Mais des gants, des manteaux, des bottes et des manches.
Leurs moines, leurs soldats, font valoir leurs vertus ;
S’ils ne sont pas bien peints, ils sont très-bien vêtus !
On peut les admirer au grand jour, en famille,
Ils ne font pas penser à mal la jeune fille.
Ce n’est plus ce dormeur, ce fat Endymion
Que Phébé caressait d’un coupable rayon,