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Edgar.

Mais je suis inquiet, je réfléchis, je pense
Au nouveau choc qui peut troubler votre existence.
Si jeune, avec vos goûts, vivre d’ambition !

Valentine.

Je n’ai guère l’esprit de ma position.

Edgar.

Aux soupçons de l’envie être toujours en butte,
Toujours craindre un revers et prévoir une chute.

Valentine.

Qui ? moi ! ces craintes-là ne sont pas mes tourments.
Non, les jours de revers sont mes plus doux moments.
Je regretterais peu ces honneurs qu’on m’envie ;
Dans mes affections j’ai mis toute ma vie ;
Et loin de m’effrayer, j’attends avec plaisir
Un revers qui permet de s’aimer à loisir.
Dans les pompeux salons de ce beau ministère
Je ne vois presque plus mon mari ni ma mère.
Le pouvoir les enivre, ils ne pensent qu’à lui.
Ils en ont tout l’honneur, moi j’en ai tout l’ennui.

Edgar riant.

Ah ! vous vous occupez des affaires publiques !
C’est vous qui décidez nos destins politiques ?

Valentine avec impatience.

Je ne dis pas cela ; que vous êtes moqueur !
Je dis qu’au ministère il faut briser son cœur,
Et que j’aimerais mieux dans une humble retraite,
Avec tous ceux que j’aime et qu’ici je regrette,
Vivre éternellement sans plaisirs, sans espoir,
Que d’être toujours seule au faîte du pouvoir.

Edgar.

Il est pourtant très-doux, pour une jeune femme,
De faire l’importante et d’être grande dame.

Valentine.

Pas pour moi : je n’ai pas du tout de vanité.

Edgar affectueusement.

Ils appellent cela de la légèreté !

Valentine.

Vrai, je ne comprends rien aux ruses de l’intrigue.