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petite citoyenne, que j’ai répondu, elle a demandé à ne pas te voir ; elle a dit : J’ai chassé le loup — Voilà des paroles civiques !… — J’ai chassé le loup, qu’on ne me rende pas les louveteaux ! — Mais pourquoi maman déteste-t-elle papa, qu’elle aimait bien, et nous, qu’elle aimait tant ?… » Et elle s’est mise à pleurer ; ses grands yeux étaient fixés comme ça sur moi, tout pleins de larmes ; elle avait une figure si douce, si douce !… (Il pleure et lève les yeux au ciel.) Elle était bien jolie en pleurant, sauf votre respect… elle te ressemblait, citoyenne.

Julie.

Non, non… ne m’en parle pas… ne m’en parle pas !

Finot à part.

Ça lui fait peut-être de la peine ! Ça doit être bien triste, pour une bonne mère, de ne plus aimer ses enfants !

Julie.

Mais enfin… tu lui as fait comprendre…

Finot.

Oh ! parfaitement… c’est-à-dire, j’ai essayé, mais elle n’a pas compris du tout. « Qu’est-ce qui empêche maman de nous aimer ? disait-elle. — C’est son civisme, que j’ai répondu. — Son civisme, qu’est-ce que c’est que ça ? qu’elle a fait. — C’est le contraire de la nature, quoi !… » Et là-dessus, je lui ai dit des choses plus à la portée de son âge : on aimait niaisement ses parents pour obéir à la nature, on les sacrifie par amour pour la chose publique, comme le citoyen Brutus !… Il fait mourir ses deux fils sur la place du marché… civisme ! Un autre, encore plus Brutus que celui-là, poignarde son père devant la statue d’un pompier… civisme ! Bref, on immole tout à la patrie, même la nature, toujours par civisme… La nation a remplacé la nature. Faut être juste, aussi, elle avait fait son temps, la nature !

Julie.

C’est trop m’occuper de cette enfant… pourquoi m’en parles-tu ?

Finot.

Par honnêteté… elle m’a corrompu… elle m’a donné toutes ses cerises pour ça….

Julie.

Elle qui est si gourmande !…