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ses petits pieds dans les bâtons, et, se tenant par les mains, il regardait gaiement en l’air et m’attendait au passage. « Tu ne m’attraperas pas ! s’écriait-il, tu ne m’attraperas pas ! » Ah ! malheureux, quelle frayeur ! J’en ai été malade six semaines… lui n’en a fait que rire… Et le jour où il est tombé dans la rivière, juste dans le filet du père Giraud, qui l’a bien vite repêché avec deux truites !… Et quand… Ah bah ! je n’en finirais pas… c’était toujours comme ça… des miracles qui prouvaient bien que le bon Dieu avait besoin de lui pour plus tard… Et l’on voudrait me faire accroire que des méchants sauvages, que des gens de rien, des hommes tout nus, auraient osé porter la main sur cet enfant béni ? Non… ça ne se peut pas ! aussi, moi je l’attends !… Je le verrais entrer là, tout à coup, que je n’en serais pas même saisi… cela ne me ferait rien du tout. Il me semble à tout moment qu’il va m’apparaître… il me semble que je vais entendre sa voix… (La porte du fond s’ouvre, un jeune homme paraît, il s’arrête et écoute.) sa bonne et belle voix, forte et sonore, et qu’il va me crier comme autrefois, quand il revenait de ses excursions savantes sur les côtes : « Me voilà ! me voilà ! Mon vieux Noël, je n’ai rien mangé depuis vingt-quatre heures, vite une omelette ! »


Scène VIII.

NOËL, ADRIEN.
Adrien.

Me voilà ! Mon vieux Noël, je n’ai rien mangé depuis vingt-quatre heures, vite une omelette !

(Il pose sa casquette sur le canapé, à droite, puis descend en scène.)
Noël pétrifié en voyant Adrien.

Ah !…

Adrien.

Qu’as-tu donc ?… tu es tout tremblant… Tu ne m’attendais donc pas ?… Je t’annonçais… (Voyant chanceler Noël et le recevant dans ses bras.) Eh bien ! Noël… Noël… reviens à toi. (Noël le regardant et cherchant à le reconnaître, il lui dit :) C’est bien moi !

Noël après avoir sangloté.

Ô mon enfant ! que je suis heureux !…

(Il l’embrasse.)