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pour vous une affection sérieuse ; mais s’il vous avait aimée d’amour, d’un véritable amour… (Mathilde se lève.) Vous avez beau vous fâcher, je le répète… il ne serait point parti.

Mathilde.

Et moi je ne l’aurais pas aimé ! car c’est son ambition qui me plaisait… cette soif de la renommée, ce besoin de porter dignement un nom déjà illustre dans l’histoire de son pays. Il aimait mieux courir des dangers, braver mille morts, que de rester inutile et inconnu près de moi, dites-vous ? Eh bien ! c’est là son mérite à mes yeux, c’est cette audace qui m’a séduite. Adrien ne m’aimait pas ! Voilà ce que vous tenez à me faire comprendre, n’est-ce pas ?… Soit, j’ai compris, et je vous réponds que j’aime mieux cette héroïque indifférence, cet abandon glorieux, que la passion exclusive, la tendresse éternelle que tout autre oserait m’offrir.

Octave.

Vous êtes injuste, Mathilde ; je ne mérite pas cette indignation. En quoi vous ai-je donc si cruellement offensée ?

Mathilde avec colère.

Vous m’aimez !

Octave.

Est-ce un crime ?

Mathilde.

Oui !… c’est votre ami que je pleure !

Octave.

Vous ne le connaissiez pas encore que je vous aimais déjà… Alors vous ne vous fâchiez pas de mon amour.

Mathilde avec insolence.

J’en riais.

Octave.

Oh ! vous êtes sans pitié ! Vous voulez donc me désespérer ?…

Mathilde.

Vous voulez bien me consoler !… Vous ne sentez donc pas ce qu’il y a pour moi d’offensant et de méprisant dans votre espérance ?… Me parler d’amour quand je pleure, c’est me dire que je suis un cœur sans foi, une femme sans souvenir, sans religion, sans pudeur !… Mais si je me consolais, je serais une misérable ! je me haïrais ! Je n’ai plus de valeur que par mon désespoir ; je vis pour conserver dans mon âme