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Octave.

Il souffre de vous savoir en proie à un si violent désespoir !… Il vous aime, il est fier de vous, de vos succès. Être au premier rang parmi nos plus fameux artistes, et perdre tout cela dans les larmes et dans l’oisiveté de la douleur !… Votre père a raison… il dit que bientôt l’art lui-même vous fera défaut, que vous ne pourrez plus peindre….

Mathilde.

Eh bien ! je ne peindrai plus.

Octave.

Que vous tomberez malade et que vous mourrez…

Mathilde.

Eh bien ! je mourrai.

Octave.

Vous n’en avez pas le droit… votre talent et vos succès vous engagent !

Mathilde.

Eh ! qu’importent à présent mes succès ! Adrien n’est plus là… Mon talent ! tout ce que je lui demande (Allant à la table où elle dessinait.) c’est la force d’achever son portrait. Oh ! je voudrais le faire bien ressemblant… laisser de lui un beau souvenir… Ce cher portrait ! ce sera mon dernier travail ! Mais… sans lui !… Disputer à la mort cette pauvre image perdue… Ah ! c’est affreux !

(Elle s’accoude sur la table, la tête dans ses deux mains, et pleure.)
Octave.

Quelle idée aussi de partir, de vous quitter, d’aller courir le monde ! Comment voyage-t-on quand on est aimé !… Mais moi, Mathilde, si vous m’aviez aimé un peu, seulement un peu, je n’aurais jamais eu le courage de vous dire adieu ; non, j’aurais voulu passer ma vie à vous regarder vivre. Je n’aurais pas rêvé la gloire, moi, le vain éclat de mon nom… Votre gloire charmante m’aurait suffi ; je n’aurais rien désiré de plus noble que de vous aider à briller vous-même pour nous ; je n’aurais songé qu’à vous secourir dans vos travaux ; je me serais fait le serviteur de votre génie, et ce rôle modeste et fier m’aurait enivré. Ah ! c’est que moi je ne suis pas un ambitieux… j’aime ! (Mathilde a relevé la tête. Elle serre le portrait dans le tiroir de la table.) Sans doute, lui vous aimait, il avait