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Madame de Blossac.

C’était moi.

Hector se levant et s’éloignant d’elle.

Mais quelle surveillance !

Madame de Blossac souriant.

C’est effrayant, n’est-ce pas ? Eh bien, cette surveillance-là, c’était ma joie, c’était la seule occupation de mon âme. Vous attendre, vous apercevoir, vous parler en rêve, vous évoquer comme une ombre chérie, c’était toute mon existence… J’étais heureuse ; mais tout à coup j’ai appris que vous alliez partir pour l’Orient, qu’il fallait renoncer à vous voir… Alors le courage m’abandonna ; je me laissai aller au courant qui m’entraînait. Mes mauvais instincts, comprimés par mon amour, reprirent une force nouvelle. Ces deux natures qui combattent en moi recommencèrent à me tourmenter de leur fatale influence… Née d’un mariage étrange, fille d’un gentilhomme et d’une bohémienne, je participe de ces deux contrastes. Comme ma mère, j’ai l’esprit aventureux et le sang enflammé ; mais comme mon père aussi, j’ai l’orgueil de mon nom et la vanité de mon rang. Il ne faut pas être trop sévère pour moi !… Je n’ai pas de candeur, je n’ai pas de vertu ; mais j’ai de l’honneur, au moins une espèce d’honneur, puisque j’ai la pudeur de cacher ma vie. La vertu ! ce n’est pas ma réalité, mais c’est mon rêve !… Est-ce ma faute à moi si mon rêve est beau, quand ma nature est misérable ? Est-ce un crime enfin, quand on est condamnée à la fange, d’aspirer au ciel ? Ma lutte terrible et sincère n’est peut-être pas sans dignité… Je me confie à toi, je te dis tout… je t’aime !… Quelque temps je parviens à mener cette vie régulière que j’affecte, sans une faute, même sans un souvenir ! Je me crois corrigée, je me crois réellement honnête, je reprends courage, je respire… Et puis, tout à coup… un souffle d’orage, une idée folle, un air chanté avec émotion, un mot, un sourire, que sais-je ? et me voilà reprise de cette fièvre infernale !… Mon imagination de nouveau s’égare, mon sang bouillonne comme une source près d’un volcan… Un vertige d’amour m’emporte dans l’abîme, et, malgré moi, malgré mes combats, maigre la prière, malgré tout, je retombe !… Seulement je retombe de plus haut !