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tout bas devant moi, et, en me regardant, on se disait déjà : « Pauvre enfant ! » Oh ! c’était affreux !… Enfin, vers le soir de ce jour-là, elle se calma un peu, et le médecin… qui l’a sauvée… nous dit que si ce calme pouvait durer, si la malade pouvait dormir seulement trois ou quatre heures, il répondrait d’elle. Après tant de jours de désespoir, cette bonne parole nous rendit tout notre courage. M. Lhomond s’en alla, et quelques minutes après son départ, maman s’endormit doucement. Alors, sans nous parler, sans oser respirer à peine, nous faisons toutes les trois, la vieille Thérèse, Fanny et moi, nos préparatifs pour la nuit. Thérèse s’établit dans un bon fauteuil pour dormir ; Fanny, qui avait déjà passé quinze nuits près de maman, et qui ne s’est jamais remise de cette fatigue-là… Dès que maman a été mieux, elle est tombée malade, et elle a été forcée de nous quitter… Elle est venue l’autre jour, elle va partir…

La Comtesse.

Mais laisse donc Fanny de côté et va vite !

Jeanne.

Fanny va se coucher sur son lit, et moi je me mets à prier. Oh ! comme j’ai bien prié cette nuit-là ! je n’avais pas de distractions comme à la messe, va !… Le silence était si grand qu’on n’entendait rien que le mouvement de la pendule ; alors l’idée me vint que l’heure allait sonner, et que le bruit de la sonnerie, retentissant tout à coup dans ce profond silence, pourrait réveiller la malade… je me levai, et, marchant sur la pointe du pied, j’allai vers la cheminée et j’arrêtai la pendule. À peine avais-je fini que j’entendis au fond du jardin César, le gros chien de garde, qui aboyait comme un furieux… Sa voix ne grondait encore que dans le lointain, mais je l’entendais qui se rapprochait, qui se rapprochait… Oh ! mon Dieu, pensai-je, il va venir faire son vacarme sous les fenêtres de maman, elle se réveillera et tout ce bon sommeil sera perdu ! Sans réfléchir à ce que je faisais, je prends une petite lampe qui était sur la table, je regarde Thérèse… elle n’avait rien entendu… d’ailleurs, César ne l’aime pas, il ne l’aurait pas écoutée… et vite je descends l’escalier. Je me disais bien : « Ce sont peut-être des voleurs, » mais je n’avais pas peur. Oh ! j’ai du courage, moi ! J’ouvre la porte, et qu’est-ce que je vois sur la terrasse ?… ce méchant César,