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La Comtesse.

Mais… peut-être aviez-vous raison, peut-être un élève du docteur Lhomond a-t-il veillé cette nuit-là près de moi, et dans sa reconnaissance, Jeanne lui serrait les mains comme à un ami…

Léonard.

Oh ! ça, j’aurais compris ça ! Mais elle n’était pas seulement affectueuse, elle était… familière, tendre… caressante : elle s’appuyait sur son épaule, elle le câlinait, quoi !… comme ma femme me câline quand je rentre ou quand elle me dit adieu. Ah ! je m’y connais, il faut aimer beaucoup, beaucoup les gens pour les flatter comme ça !

La Comtesse suffoquée.

Mais… lui ?…

Léonard.

Ah ! lui, de la place où j’étais je ne le voyais pas bien, lui. Aussi, voulant le regarder de plus près, quand j’ai entendu que mademoiselle Jeanne ouvrait la petite porte du jardin, j’ai sauté par-dessus le mur pour rattraper mon homme quand il serait dans la prairie. En effet, là, je l’ai retrouvé, et quand j’ai reconnu M. Charles Valleray, le fils de notre préfet, tout m’a été expliqué. Je savais que madame la marquise n’avait jamais voulu le recevoir chez elle, à cause de ses opinions politiques, et alors j’ai compris que, si ces jeunes gens s’aimaient, il leur fallait bien se voir en cachette, puisque leurs parents ne leur permettaient pas de s’aimer autrement. Ce qui m’inquiétait le plus, c’est l’idée que peut-être je n’avais pas été seul à les surprendre, et vite je suis revenu dans le jardin. Au même instant, j’ai entendu le bruit d’une fenêtre qu’on fermait : c’était du côté de l’hôtel de France, à gauche, près du grand peuplier. Cette fenêtre qu’on fermait à cette heure… cela m’a toujours inquiété. Aussi, comme je pensais que cette aventure serait tôt ou tard connue, racontée, j’ai demandé à madame mon congé pour ne pas être dans le pays quand on viendrait à parler de ça. Je ne sais pas mentir, et ce secret-là m’affligeait trop. Il a fallu les ordres, les prières de madame la comtesse pour me forcer à parler contre mademoiselle… J’ai obéi bien à regret, mais… Enfin, voilà toute la vérité. J’espère que madame la comtesse me la pardonnera.

(Il s’essuie les yeux.)