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Madame de Blossac.

Non, c’est un système, et il est bon. Je lui dois ma réputation.

Hector.

Le fait est qu’elle est très-bien établie… On a voulu hasarder quelques doutes, mais on a été repoussé avec indignation.

Madame de Blossac avec agitation et amertume.

Que voulez-vous ? le monde est fait ainsi, il demande à être trompé. Si j’étais simplement honnête, il me calomnierait… je suis hypocrite, il le devine, et il me respecte lui-même avec hypocrisie ; nous nous comprenons, lui et moi. Ah ! je le connais… une vertu discrète, véritable, le rendrait jaloux ; s’il admet celle que l’on étale à ses yeux, c’est que son instinct lui dit qu’elle est fausse et qu’elle n’a pas le droit de l’humilier. Sa vénération imméritée est encore une hypocrisie, car ce n’est pas la vertu qu’il aime, c’est la comédie de la vertu ; ce n’est pas une admiration réelle qui convient à son envie, non, non : ce que veut le monde, c’est la comédie de l’admiration pour la comédie de la vertu.

Hector.

Quelle profondeur ! vous m’épouvantez ! Et, dites-moi, d’où vient que vous dédaignez de la jouer pour moi, cette comédie que vous jouez si bien pour le monde ?

Madame de Blossac avec exaltation.

Pourquoi ?… parce que je ne peux pas la jouer pour vous. Je ne sais quel empire vous avez sur moi, mais près de vous j’éprouve le désir, le besoin de la sincérité ; votre présence seule décompose tous mes plans de ruses. Est-ce votre loyauté qui commande à la mienne ? est-ce ma bonne nature, faussée par le monde, que vous faites revivre ? ou bien est-ce l’amour, l’amour qui me métamorphose ? je l’ignore. Ce qu’il y a de certain, c’est que je trouve un charme inexprimable à parler pour la première fois avec franchise ; mon masque est tombé, et je sens avec délices l’air pur et frais sur mon visage. Ma voix, délivrée de sa contrainte, a des accents de naïveté qui me ravissent ; mes regards se relèvent avec orgueil pour exprimer bravement ma pensée ; je plane au-dessus du mensonge, je nage en pleine vérité. Ah ! monsieur de Renneville, quel beau sentiment que l’amour !