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Tu vois ces jeunes fous, ce sont nos rédacteurs,
Plus ou moins gens d’esprit et plus ou moins auteurs.
Celui-ci n’a jamais écrit une colonne,
Le moindre article ; mais pour auteur il se donne,
Et son plus grand effroi, c’est d’être reproduit.
Celui-là se croit Kant parce qu’il l’a traduit ;
Il épluche pour nous les journaux d’Allemagne.
Celui qui dort là-bas en ronflant, c’est l’Espagne.
Ce petit, c’est Bertrand, voyageur du journal ;
Oui, sans que ça paraisse, il est au Sénégal.
Ce grand pâle est Griffaut, une tête savante.

Edgar.

Griffaut, je le connais, son nom seul m’épouvante ;
Il poursuit de sa haine un grand peintre, Morin,
Mon maître. Le pauvre homme ! il en meurt de chagrin.

Martel.

Griffaut n’est point méchant, mais dès qu’il veut écrire,
Il ne sait pas comment, tout lui tourne en satire ;
Sa plume est venimeuse et son rire fatal.
C’est un fort bon garçon qui fait beaucoup de mal,
Il est chargé des arts, de la littérature,
Des peintres, des auteurs.

Edgar.

Des peintres, des auteurs.Excellente pâture !
Mais il doit exciter de vifs ressentiments ?

Martel.

Il les brave, il ne fait ni tableaux ni romans.

Edgar montrant Jollivet qui dort.

Dis-moi, ce gros joufflu là-bas n’est pas des vôtres ?

Martel.

Qui ? lui !… c’est Jollivet, un de nos grands apôtres,
Écrivain politique et sermonneur de rois !
Le soutien du journal !…

Edgar.

Le soutien du journal !…Il chancelle parfois.

Martel.

C’est le premier Paris, l’article d’importance,
Que l’on appelle aussi morceau de résistance !
C’est un homme très-fort et qui sait son métier.
Comme buveur il peut troubler tout son quartier ;