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Jeanne.

Oh oui !… il est si bon à aimer ! Et puis, cela m’amuse beaucoup de le caresser… oui, ça m’amuse !… Quand je vois tout le monde qui a l’air de trembler devant lui, qui le traite avec tant de cérémonie… « Monsieur le maréchal par-ci… Monsieur l’ambassadeur par-là… » et l’on parle tout bas dans son salon comme dans une église, et l’on n’ose s’asseoir sans sa permission… Enfin, quand je vois tous ces pompeux respects, ça m’amuse de pouvoir lui parler sans façon, moi, à ce grand personnage, de lui sauter au cou sans cérémonie, de l’embrasser par ici, monsieur le maréchal, et par là, monsieur l’ambassadeur, et de m’asseoir sur ses genoux sans sa permission… Ça m’amuse beaucoup !

(Elle s’assied sur les genoux du maréchal.)
Le Maréchal.

Ô l’enfant gâtée ! (Il l’embrasse.) Heureusement qu’un bon mari va vous remettre à la raison, mademoiselle.

Jeanne se levant.

Oh ! mon Dieu, lui ?… il va me gâter comme les autres ! j’ai vu ça tout de suite.

Le Maréchal.

Ah vraiment ! Et à quoi donc devines-tu cela ? dis… hein ?

Jeanne.

À la manière dont il me regarde. Oh ! comme il me regarde bien !… Personne ne m’a jamais regardée comme ça.

Le Maréchal.

Il te regarde avec bonté, avec tendresse, comme moi.

Jeanne.

Ce n’est pas du tout la même chose.

Le Maréchal.

Et quelle différence trouves-tu donc entre sa manière de regarder et la mienne !

Jeanne.

Ça n’a aucun rapport. Et puis, ça ne me fait pas le même effet : quand vous me regardez, moi, je vous regarde ; mais aussitôt que lui, il fixe ses deux yeux sur moi, oh ! je ne sais plus que faire des miens… je suis contente, et pourtant je voudrais m’en aller. C’est très-singulier.