Vous plaisantez toujours.
Parlons sérieusement. Il y a deux ans, quand vous avez obtenu cet appartement dans l’hôtel du maréchal, avec l’intention d’épouser le maréchal, vous êtes restée six mois sans aller chez lui, c’était un trait de génie ! Mais aujourd’hui, rester huit jours sans le voir, cela me paraît dangereux. Quand retournez-vous chez le maréchal ?
Je n’irai pas avant deux jours.
Oh ! quelle faute !… Mais dans deux jours votre place sera occupée. Ah ! vous comptez sur la fidélité des vieillards ! Mais les vieillards n’ont pas le loisir d’être fidèles… C’est un luxe que la fidélité, car c’est du temps perdu, et il faut être jeune, très-jeune, pour se passer ce luxe-là ! Votre maréchal est déjà à moitié distrait… Vous comptez aussi sur la goutte, n’est-ce pas, pour fixer ce papillon blessé ?… Voilà encore un préjugé ! Les gens les plus exposés aux séductions sont précisément les infirmes ! Nous autres, nous pouvons échapper au danger en fuyant à toutes jambes… Mais eux ! que peuvent-ils faire ? Comment peuvent-ils résister à l’inconstance, quand elle vient elle-même les séduire jusque sur leur fauteuil de douleur ? Croyez-moi, madame de Blossac, c’est un faux calcul ; une femme intelligente ne doit jamais faire semblant de fuir un homme que lorsqu’il peut courir après elle. Voyez mademoiselle de la Vallière, votre modèle à toutes, elle a fui Louis XIV, parce que Louis XIV était jeune et qu’il pouvait la rejoindre. Elle n’aurait pas fui Louis XVIII… Vrai ! fuir un homme qui a la goutte, c’est l’enfance de l’art !… Mais je ne suis pas dupe, vous ne me dites pas tout… Vous avez une autre raison pour rester ici.
Vous avez deviné… Oui, j’ai fait une rencontre qui m’inquiète. Avant-hier, j’étais allée de bonne heure, comme tous les jours, visiter mes vieux pauvres…
Ce n’est pas la peine de me conter cela, à moi.