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Le mal n’existe pas chez nous, il n’est dans rien,
Et notre seul fléau…

Guilbert.

Et notre seul fléau…C’est…

Martel.

Et notre seul fléau… C’est…C’est l’abus du bien.
Mais cet abus fatal détruit tout sans ressource.
Par lui le fleuve pur est souillé dans sa course :
Le ciel dorait ses flots, et le sang les rougit ;
Il coulait en chantant, en roulant il rugit ;
Au lieu de féconder la terre, il la ravage,
Et le peuple à jamais déserte son rivage.
Ainsi nous avons fait haïr par leur abus
De belles vérités dont nous ne voulons plus.
Nous avons abusé des vertus les plus grandes :
Les autels ont croulé sous nos lâches offrandes :
Nous sommes aujourd’hui sans prière, sans foi,
Pour avoir abusé de la divine loi.
Le trône a succombé par excès de puissance ;
La liberté mourut en devenant licence ;
Et la presse, monsieur, nouvel astre du jour,
Pour avoir trop brillé, va s’éteindre à son tour.
Si nous sommes tombés, c’est par excès de gloire ;
Nous avions abusé même de la victoire.
Ah ! nous regretterons un jour, pauvres Français,
Tous ces trésors perdus, perdus par nos excès.

Guilbert.

Je pense comme vous, nous manquons de mesure ;
Mais le temps nous instruit, et cela me rassure.

Martel allant écouter au fond du théâtre.

Ils viennent, c’en est fait…

Guilbert.

Ils viennent, c’en est fait…Il doit être fort tard.

Martel.

Oui… neuf heures…

Guilbert.

Oui… neuf heures…Déjà ! Veuillez dire à Pluchard
Que je suis obligé de faire une visite
Indispensable.