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dira-t-on ; sans doute, puisqu’il y a plusieurs victimes ; mais ces malheurs divers ont tous la même cause, l’unité est dans le fléau.

Il est d’usage, dans les pièces du théâtre moderne, de faire pressentir ce qu’on appelle le drame dès les premières scènes, et d’avertir le public qu’on lui prépare de violentes émotions. L’auteur se serait facilement conformé à cette loi, s’il n’avait pensé que pour lui ce calcul habile serait une faute qui ôterait de la force à son sujet ; car cette fois la surprise est un enseignement. Pour que la leçon soit frappante, il faut qu’elle s’adresse non-seulement aux journalistes, mais aux spectateurs eux-mêmes, qui représentent les lecteurs, ou plutôt les abonnés. Il faut que, pendant les deux premiers actes, le public, comme le lecteur, soit complice involontaire de la cruauté des journaux. Il faut qu’il s’amuse de leur malice, sans en prévoir les tragiques effets. Il faut même qu’il s’impatiente de la puérilité des détails, et qu’il dise : « Mais il n’y a pas de pièce ; ce sont des plaisanteries insignifiantes qui ne mènent à rien… »

Et puis alors il faut, l’étourdissant par un coup terrible, lui répondre : « Regardez : ces plaisanteries insignifiantes sont toutes chargées à mitraille. L’une lance le déshonneur, l’autre la mort. Voyez ce que peut faire l’étourderie quand elle a pour arme un journal ! jugez maintenant de ce que peut faire la méchanceté ! »

Si cette comédie avait pour titre les Journalistes ou le Journalisme, on pourrait avec raison s’étonner de n’y point voir représentées toutes les variétés de journalistes que la presse périodique a vues naître : depuis le journaliste modèle, écrivain prudent, juge intègre, sévère pour les œuvres, mais bienveillant pour les personnes ; ne faisant servir la publicité dont il dispose qu’à la propagation d’idées saines, d’opinions consciencieuses, — jusqu’au journaliste profane, forçat littéraire, implorant la charité des peureux en leur mettant le pamphlet sous la gorge. Mais cette comédie a pour titre l’École des Journalistes. Qui dit école dit leçon, et les leçons ne s’adressent qu’à ceux qui peuvent en profiter. L’homme juste et loyal qui remplit ses devoirs n’a pas besoin de conseils ; l’homme dégradé qui se fait un revenu de ses mensonges n’écoute pas les reproches. La leçon donnée aux journalistes devait donc s’adresser à ces hommes du jour, malins, spirituels et légers, qui se servent d’une plume comme d’une épée ; à ces mousquetaires de la littérature qui font une guerre continuelle d’épigrammes et de