Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 6.djvu/12

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

manières ont du bonheur, où la laideur est un prestige, où la déconsidération est une égide ; siècle de raison sublime et de démence incurable, où les hommes d’État font l’émeute, où les boutiquiers la répriment ; temps de grandeur et de simplicité, où les princes qu’on assassine bravent les balles sous un parapluie, où les aventures les plus chevaleresques sont égayées par les incidents les plus risibles ; où des filles de roi, des femmes illustres se cachent dans des fours, dans des cheminées, après d’héroïques combats ; époque sans nom, où tout est contraste et mélange, où l’on danse pendant que l’on s’égorge, où l’on dépouille le saint temple pendant que l’on promène le bœuf gras ; époque à la fois poétique et bourgeoise, romanesque et triviale, où les crimes sont burlesques, où les plaisanteries sont mortelles, où les vanités les plus bouffonnes ont les conséquences les plus fatales… il lui a semblé qu’une telle époque devait donner naissance à un genre nouveau de comédie : drame exceptionnel représentant nos mœurs exceptionnelles, peignant le monde tel qu’il est, c’est-à-dire plus sot que méchant et moins coupable qu’aveugle, plus dangereux par sa légèreté que par sa corruption ; comédie tragique tenant de la satire et de l’épopée, tableau grotesque, enseignement terrible, où le poète fût à la fois moqueur et juge, historien et prophète.

L’École des Journalistes est un essai de ce genre nouveau. Ce sont de grands malheurs causés par des plaisanteries qui se croient innocentes ; car, dans cet aperçu des mœurs du temps, ce n’est pas, comme dans les pièces du théâtre étranger, un mélange de rire et de larmes, un personnage comique jetant sa gaieté à travers une situation pathétique et horrible ; ce n’est pas non plus le niais du mélodrame venant distraire du bourreau et amuser le spectateur, que la cruauté du tyran fait trembler ; c’est la plaisanterie elle-même qui est fatale ; c’est la comédie elle-même qui enfante la tragédie ; c’est le niais qui est le bourreau, c’est ce qui a fait rire qui fait pleurer.

Le but de cet ouvrage est de montrer comment le journalisme, par le vice de son organisation, sans le vouloir, sans le savoir, renverse la société en détruisant toutes ses religions, en ôtant à chacun de ses soutiens l’aliment qui le fait vivre : en ôtant au peuple le travail, qui est son pain, au gouvernement l’union, qui est sa force, à la famille l’honneur, qui est son prestige, à l’intelligence la gloire, qui est son avenir. Il y a plusieurs intérêts,