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LETTRES PARISIENNES (1841).

de le citer à tout propos, non-seulement en vers, mais en prose. Quelqu’un nous disait l’autre jour : « Si j’étais de l’Académie, moi, jamais je ne donnerais ma voix à un homme qui a dit : Enfoncé Racine !

— Alors vous pourriez nommer Victor Hugo, car il n’a jamais dit cela.

— Il l’a vraiment bien dit.

— C’est impossible, pour deux raisons : d’abord parce que c’est une sottise, ensuite parce que M. Victor Hugo est un homme de trop bonne compagnie pour se servir d’un mot si commun. Si c’est pour ce mot que vous lui en voulez, tâchez de trouver une autre raison.

— Ah ! je sais que vous l’aimez et que vous êtes empressé de le défendre ; mais soyez de bonne foi, vous qui avez tant de goût (on nous flatte pour nous arracher une critique), est-ce que vous pouvez admirer, par exemple, des vers comme ceux-là :

                                    Sur le clocher jauni
La lune apparaissait comme un point sur un i !

— Mais certainement, je les admire ; je trouve que c’est une moquerie très-spirituelle, et qu’Alfred de Musset…

— Qui vous parle d’Alfred de Musset ?

— Vous, qui me citez des vers de lui.

— Ah ! le point sur l’i est de M. de Musset ?

— Sans doute. Si vous n’avez encore que cela à reprocher à Victor Hugo, tâchez de trouver autre chose.

— Je ne suis pas embarrassé, et rien que ces vers sur la Liberté qui boit du vin bleu suffiraient pour me donner des armes contre vous.

— Ne vous fiez pas non plus à ces armes-là. Ces vers :

La Liberté n’est pas une comtesse
    Du noble faubourg Saint-Germain, etc., etc.,


ces vers sont fort beaux et ils ont fait la réputation d’Auguste Barbier.

— Quoi ! ils ne sont pas de Victor Hugo ! mais alors qu’est-ce qu’il a donc fait de si admirable ?

— Il a fait les Orientales, les Feuilles d’automne, les