Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 5.djvu/91

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
83
LETTRES PARISIENNES (1840).

ridicule, mais je ne l’ai pas dit à cause de mon accent, qui aurait pu me nuire, et puis aussi parce que j’étais seul. Il faut être plusieurs pour exprimer de ces pensées-là.

— Moi, dit un sévère critique, rien de tout cela ne m’a ému ; je n’aime pas que les pompes de l’Opéra viennent profaner la majesté de la mort. Mais ce qui m’a fait une vive impression, c’est l’arrivée de la Dorade. Voilà qui était noble et touchant ! Grâce au bon goût du prince de Joinville, tous ces oripeaux de théâtre avaient été jetés au loin. Le jeune capitaine avait compris que les ornements, les dorures, qui peuvent flatter les oisifs vaniteux d’une grande ville, ne peuvent convenir à des marins de l’Océan, et que le pont d’un vaisseau est assez dignement paré quand il porte le cercueil d’un empereur et la croix d’un Dieu !

— Le prince de Joinville, dans tout ce voyage, a été admirable, plein de courage, de résolution, reprend la femme d’un officier de marine ; je sais cela par mon cousin, qui était de l’expédition et qui m’a tout raconté. J’étais là aussi quand le prince est arrivé et qu’il a reconnu la reine, qui était venue au bord de la Seine pour le voir passer. En apercevant de loin sa mère, qui lui tendait les bras, il a aussi tendu les bras vers elle, puis il a repris son attitude grave et solennelle ; tout le monde était attendri.

— Le peuple a beaucoup crié : Vive le prince de Joinville ! dit un habitué du château.

— Oui, son voyage à Sainte-Hélène l’a rendu très-populaire, reprend un vieux général. C’est un brave jeune homme, loyal et franc du collier. L’empereur l’aurait beaucoup aimé.

— C’est possible ! mais l’empereur, à sa place, ne se serait pas ramené.

— Vous dites toujours des folies.

— J’appelle cela des vérités. »

Nous écoutons ces conversations, et nous pensons en nous-même que le temps est un bien grand philosophe, et l’histoire une bien excellente mère de famille : l’un arrange tout, explique tout, pardonne tout ; l’autre finit toujours par réconcilier ses enfants avec tout le monde. Voyez cet infâme usurpateur, ce Corse perfide, ce tyran odieux, cet ogre insatiable, ce croco-