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LE VICOMTE DE LAUNAY.

De tous les cris séditieux inventés pour cette mémorable journée, voici sans contredit le plus étrange : L’abolition de la peine de mort ! et tous les traîtres à la guillotine ! Qu’est-ce donc que ces nouveaux légistes entendent par l’abolition de la peine de mort ? Le droit de tuer sans être tué peut-être ? Cela demande explication.

Paris est encore aujourd’hui tout occupé de la grande cérémonie. On s’aborde en se demandant : « Eh bien, comment l’avez-vous supportée ? » Et la preuve qu’il y avait une sorte de mérite à montrer tant d’empressement, c’est que réellement tout le monde est malade depuis quatre jours. Les conversations commencent d’abord par des plaintes ; chacun raconte les douleurs qu’il doit à cette solennité. Ensuite on se fait part de ses impressions : « Moi, ce qui m’a fait battre le cœur, dit une jeune femme, c’est le moment où on a apporté à l’église le corps de l’empereur. On a tiré le canon, et quand j’ai pensé que c’était le canon des Invalides et qu’il ne l’entendait pas, je n’ai pu m’empêcher de pleurer.

— Moi, dit un jeune peintre, ce qui m’a le plus frappé, c’est ce beau rayon de soleil qui tout à coup a illuminé le pont de la Concorde, à l’instant même où le char venait de s’y arrêter. Il y avait là un effet de lumière impossible à rendre. Les baïonnettes, les lances, les casques, les housses de drap d’or qui couvraient les chevaux, étincelaient ; le char était éblouissant de clarté : c’était une véritable apothéose.

— Moi, dit une femme de l’Empire, ce qui m’a touchée, c’est de voir les brillants écuyers et les aides de camp de l’empereur, qui suivaient à pied son cercueil. Je les ai vus tant de fois à cheval derrière lui ! Quel beau temps c’était que le nôtre !

— Oui, dit une jeune fille, ils étaient tous là, jusqu’à ce pauvre duc de Reggio… un paralytique qui marche ! On ne pouvait le voir sans être ému.

— Et ces braves soldats de la vieille garde, s’écrie un écolier, ils étaient bien contents, allez, de ravoir leur empereur ! ils pleuraient joliment !

— Moi, ce qui m’a ému, dit en souriant un Anglais, c’est d’entendre crier : À bas les Anglais !… J’ai trouvé cela assez