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LETTRES PARISIENNES (1840).

simple chiffre : 1793, et que promenaient cinq cents jeunes gens. À peine a-t-il paru, qu’une terreur électrique s’est emparée des cent mille badauds qui peuplaient les boulevards. Au même instant tout le monde a pris la fuite, et cet effroi contagieux s’est communiqué du boulevard du Temple au boulevard Saint-Martin, du boulevard Saint-Martin au boulevard Saint-Denis, et ainsi de suite jusqu’au boulevard de la Madeleine. On se précipitait dans les rues, on se réfugiait de force dans les boutiques, on envahissait les omnibus, on s’étouffait. C’était un désordre affreux. Si, dans les jours de révolution, on dit que Paris se lève comme un seul homme, on peut déclarer que, ce jour-là, toute la population parisienne s’est enfuie comme une seule femme. Oh ! la belle frayeur ! la belle fuite ! quelle rapidité ! quelle vivacité ! quel ensemble ! quel élan ! c’était de l’enthousiasme à reculons. Quelle touchante unanimité ! comme tous ces cœurs battaient ensemble du même sentiment ! Comprenez-vous cela ? Une peur qui commence au boulevard du Temple et qui finit au boulevard de la Madeleine ! Une chaîne d’effroi qui a presque une lieue de long ! Et si vous demandiez à tous ces fuyards la cause de leurs alarmes, ils vous regardaient d’un air étonné et réfléchissaient un moment ; ils se rappelaient alors que cette grande frayeur n’avait point de cause. Et cela devait être, car, à moins d’un massacre universel, il n’est point de cause pour une si belle frayeur ; en fait de peur, rien est ce qu’il y a de plus terrible.

Pendant que le monde élégant s’enferme à la campagne pour éviter le bruit du canon de Juillet, les habitants de la province viennent de trente lieues à la ronde pour assister aux fêtes glorieuses. Ils arrivent ici par familles, et ils ajournent jusqu’à cette époque toutes les affaires qu’ils peuvent avoir dans la capitale. Nous avons entendu avant-hier un domestique demander à son maître la permission de sortir pour promener huit de ses parents qui sont venus ici passer les fêtes. — D’où viennent-ils ? — De Picardie.

Cet empressement ne nous étonne pas. Pour ceux qui n’ont pas trop souffert des événements de 1830, ces fêtes nationales ont un aspect éblouissant. La ville de Paris est vraiment superbe ces jours-là. L’avenue des Champs-Élysées, éclairée par