Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 5.djvu/68

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
60
LE VICOMTE DE LAUNAY.

mates de l’Europe si, au lieu de paraître puérilement ou insolemment flatté d’une visite d’ambassadeur, il s’était montré poliment dérangé par elle dans ses patriotiques travaux ; si, au lieu d’admettre pour lui-même toutes les vieilles vanités des siècles qui ne sont plus, il avait professé dans toute leur grandeur les vérités d’une politique nouvelle ! Alors comme les rôles étaient changés ! Ce n’était plus un parvenu qui recevait des grands seigneurs : c’était l’homme indépendant par la pensée qui recevait des hommes dépendants par les intérêts ; ce n’était plus la jeune France folle et turbulente que venaient gronder de vieux courtisans : c’était la France régénérée, terrible, mais complaisante, laissant à l’Europe décrépite le temps de se rajeunir. C’était l’avenir déjà tout-puissant qui voulait bien avoir encore quelques égards pour le passé. C’était la démocratie naissante, reine du monde, qui tolérait encore comme une infirmité respectable l’ancienne aristocratie de l’Europe. C’était l’idée jeune qui tendait généreusement la main au préjugé vieux. C’était la raison et la force qui se montraient bonnes et compatissantes pour la faiblesse et la vanité… Mais que voulez-vous, M. Thiers croit aux grands seigneurs ! Quand un lord daigne lui écrire pour le mystifier, ça le flatte ; quand une grande dame daigne venir chez lui se moquer de lui, ça le flatte ; quand on l’affuble d’un grand cordon d’une couleur quelconque, ça le flatte ; or vous savez comme on traite ceux qui se laissent flatter :

......Tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute…


Et c’est pour cela que nous allons avoir la guerre, après vingt-cinq ans de paix… Que Dieu protège la France !

Les fêtes de Juillet se sont passées admirablement. Que de monde sur les boulevards mardi dernier ! quel mouvement ! quelle population ! mais qu’il a fallu peu de chose pour faire du vaste espace encombré par la foule un vaste désert ! Après un beau courage, ce qu’il y a de plus beau à voir, c’est une belle peur. Vrai, c’est un magnifique spectacle. Jamais vous ne pourrez vous figurer l’effet produit, mardi, sur les boulevards, par le seul aspect d’un chiffon noir sur lequel était ce