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LE VICOMTE DE LAUNAY.

qu’il a pour ami un peintre rempli de talent. « Voilà un tableau affreusement éclairé ! s’écrie-t-il. C’est là-dessus qu’il fallait le poser ; le jour y est magnifique. — Oui, mais le feu y est excellent aussi : le poêle de la salle à manger est là derrière, et l’on ne peut rien mettre de ce côté. — Ah ! c’est différent. »

Et chacun alors est obligé de rendre justice au maître de la maison, et de reconnaître qu’avec tant d’obstacles, tant de difficultés à vaincre, de considérations à garder, il a su tirer de son nouvel appartement tout le parti qu’on en pouvait tirer ; puis on admire son bon goût, ces étoffes si bien choisies, ces meubles si ingénieusement rajeunis. Enfin, quand les parents et les amis ont bien débité toute sorte de compliments aimables, ils s’en vont en se disant tout bas : « Il n’est pas du tout joli, leur nouvel appartement. — Qu’il est triste ! — C’est un tombeau ! — J’aimais bien mieux l’autre ! »

Si, au contraire, le changement est tellement favorable qu’on ne puisse le nier, alors on fait de la philosophie. « C’est très-riche, dit-on ; mais je ne fais aucun cas de ce grand luxe ; est-ce que cela vous plaît, à vous, toutes les peintures et les dorures de ce salon ? — À moi ? non vraiment ; ça a l’air d’un café. »

Nos amis sont si exigeants pour nous, qu’ils ont bien de la peine à se contenter de notre bonheur.

Les déménagements de raison, semblables aux mariages de raison, sont tout simplement d’épouvantables sacrifices que le désespoir seul peut inspirer. Vous aviez un bel hôtel qu’il vous faut louer et dans lequel vous vous gardez seulement un pied-à-terre, c’est-à-dire un crève-cœur ; ou bien, ce qui est plus triste encore, vous avez une maison charmante qu’il vous faut vendre avec vos plus chers souvenirs. Et comme vous n’êtes préoccupé que du chagrin de quitter ce confortable asile, vous songez avec indifférence et dégoût au nouveau gîte qu’il vous faut chercher. Toutes les maisons de Paris vous semblent affreuses. Vous ne comprenez rien à leurs fantastiques distributions. Dans ces grandes casernes que l’on bâtit depuis six ans, il y a de petites cours carrées et mystérieuses, des puits vitrés qui vous semblent une ruse incompréhensible ; les escaliers vous font l’effet d’interminables échelles. Les chambres