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LETTRES PARISIENNES (1840).

ni même regarder. Les femmes qui restent encore à Paris ne sont presque plus coquettes. À quoi leur servirait d’être belles, il n’y a plus personne pour les admirer. Le jardin des Tuileries est désert ; le soir on voit encore passer rapidement quelques calèches élégantes aux Champs-Élysées ; on aperçoit de loin quelques amis au Cirque de Franconi, mais chaque jour les noms connus deviennent plus rares ; et bientôt on pourra se croire dans une ville d’étrangers. Plaignez, oh ! plaignez charitablement ceux qui restent, car on n’est ici retenu que par un ennui, par un devoir, par une économie, par une maladie ou par un procès.

Dès qu’on est libre, on s’embarque et l’on va dîner à la campagne. Que de monde il y aura dimanche à Versailles ! Pourvu qu’il fasse beau ! Rien ne nous afflige comme ces grandes pluies qui viennent ordinairement troubler nos jours de fête. Nous pensons à toutes ces espérances trompées ou bien à tous ces plaisirs changés en corvée ; nous contemplons avec tristesse ces pauvres familles endimanchées qui, rentrant dans la ville bien avant l’heure du repos, ne rapportent de la fête, trop tôt quittée, que les débris de leur parure et les plus amers regrets. Le père a mis son mouchoir comme un voile sur son chapeau ; il est de mauvaise humeur, il gronde sa femme ; la mère a mis son châle à l’envers, elle relève sa robe de soie tourterelle par un reste d’égards, car elle ne se fait plus d’illusion : « Ma pauvre robe, dit-elle, on ne sait plus de quelle couleur elle est maintenant ! ça n’est plus bon que pour doublure… » Elle est mécontente, elle gronde sa fille ; mais sa fille ne l’écoute pas. Elle ne pense qu’à ses brodequins ; elle était si fière de ses brodequins ! elle les regarde avec douleur : « Ils sont perdus !… » dit-elle. Le vert est une couleur si sensible ! Elle est triste, et gronde son petit frère qui se révolte et danse exprès dans le ruisseau. L’orage est encore une des cruelles épreuves de l’été. Il est bien difficile d’avoir un bon caractère et d’être aimable un jour d’orage.

Les eaux à la mode cette année sont les eaux d’Aix en Savoie ; ce séjour de délices menace d’être fort animé. Les eaux d’Ems sont à la mode aussi, mais pour les malades. On va à Dieppe et l’on court avec empressement à Trouville, où il