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LE VICOMTE DE LAUNAY.

LETTRE VINGT ET UNIÈME.

Paris l’été. — La comédie de vérité.
3 juillet 1840.

Paris n’est plus en ce moment qu’un affreux séjour, un enfer d’asphalte et de bitume où languit, souffre et gémit une population de victimes et d’esclaves : victimes de la misère, esclaves du devoir.

Tous ceux qui n’ont rien à faire et qui vivent pour s’amuser sont partis ; il ne reste ici que ceux qui vivent pour travailler et ceux qui travaillent pour vivre, savoir : messeigneurs les pairs et messieurs les prolétaires ; ceux qui ont passé des jours glorieux dans les inquiétudes de la guerre, dans les agitations de la politique, dans les acharnements de l’étude, pour acquérir un peu de renommée ; et ceux qui passent des jours obscurs dans les pacifiques tribulations du commerce, dans les labeurs de la polémique et dans les langueurs du bureau, pour gagner un peu d’argent.

Nous le disions l’autre jour, l’été est impitoyable : non-seulement il fait subir à chacun mille épreuves, mais encore il rend plus pénibles tous les travaux. Ce métier de pair de France, dont nous parlons, est très-malsain pendant l’été ; celui d’avocat ne vaut guère mieux ; faire de grandes phrases et de grands gestes pendant la canicule, cela doit être affreux. Les pauvres danseuses doivent bien souffrir ; par cette chaleur, la moindre pirouette est un horrible effort, le moindre entrechat est un sacrifice. Décidément, l’été est la saison des paresseux ; et il avait raison, ce paresseux expert qui nous disait un jour : « J’aime l’été, parce que l’été on n’a rien à faire. L’hiver, il faut à chaque instant se déranger pour relever le feu, c’est très-fatigant. »

Par malheur, il y a en ce moment à Paris force gens qui ne sont point paresseux et qui n’ont, hélas ! rien à faire : ce sont les marchands. La solitude des magasins est complète ; chacun a fait en partant ses provisions de parure et de plaisirs, et c’est une chose triste que de voir ces étoffes si riches, ces gazes si fraîches, ces écharpes si jolies que personne ne vient acheter,