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LETTRES PARISIENNES (1840).

piano ; une femme qui joue les contredanses avec ce soin, ce goût, cette complaisance attentive et cette délicate intelligence est un trésor ; elle sera bonne épouse, bonne mère et bonne ménagère : on peut l’épouser les yeux fermés. — Que d’épreuves il nous reste encore à énumérer ! mais ce sera pour une autre fois.

Paris s’en va décidément ; tous les gens aimables nous quittent, Qu’allons-nous devenir ?… qu’aurons-nous à vous dire quand tous ces causeurs charmants qui nous prêtent parfois un peu de leur esprit ne seront plus là ? L’un s’est enfui il y a trois jours à Vichy, très-fâché contre nous ; mais nous bravons sa colère, que nous ne méritons pas, et nous attendons avec confiance, et surtout avec impatience, une lettre de lui. Un autre vient de nous dire adieu ; il quitte Paris pour six grands mois : on n’a pas impunément un beau château en Bretagne. Madame une telle est déjà partie moralement : elle ne reçoit plus ; il n’y a maintenant, dans son salon que sa sœur, quatre ou cinq amis, une vache, deux grandes malles et six cartons. Madame de *** ne sait plus que dire depuis trois jours ; elle ne sait parler que de ses lectures, et toute sa bibliothèque, toute sa conversation, est emballée. Et ce qui prouve que Paris commence à partir, c’est que les inventeurs de la fausse absence (vous savez, ceux qui n’ouvrent jamais leurs jalousies pour faire croire qu’ils sont en voyage, et qui ne se promènent, comme les patrouilles, que la nuit), les inventeurs de la fausse absence commencent à prédire leur départ pour la fin de juillet. Ils ne veulent pas assister aux fêtes populaires ; en vérité, ils sont trop élégants pour cela ; ils ne verront donc pas le feu d’artifice… mais ils l’entendront, il le faudra bien !

Ah ! ce qu’il faut vous hâter d’entendre, c’est la tyrolienne que chante Arnal dans la pièce nouvelle du Vaudeville : elle est admirable ! Il y a aussi dans cet ouvrage un mot sublime que nous avons retenu : « Cruel ! vous ne m’avez jamais aimée ! » dit une jardinière naïve, abandonnée pour une femme de chambre coquette. — « Vrai, répond Arnal, je vous aimais, et je ne vous aurais jamais quittée, si je n’avais pas trouvé mieux. » Le mot est charmant ; mais, hélas ! que d’ingrats n’ont pas une si bonne excuse !