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LE VICOMTE DE LAUNAY.

cœurs sensibles, qui rêvez au choix d’une compagne, ne vous décidez jamais, jamais, avant d’avoir tenté l’épreuve de la contredanse ! tout votre avenir en dépend. Mais ne confondez point, il ne s’agît pas ici de la contredanse qu’on danse, mais bien de la contredanse qu’on joue. À la campagne, si l’on veut danser et valser, ce sont les jeunes filles qui, l’une après l’autre, viennent tenir le piano ; regardez-les bien, observez-les bien, et confiez sans hésiter votre bonheur à celle qui aura le plus parfaitement joué son quadrille. Mademoiselle de B… a du talent ; ses doigts sont brillants ; elle est très-bonne musicienne, mais elle est étourdie ; elle joue vite par complaisance, c’est-à-dire très-mal : c’est une tête légère ; cette femme-là ne vous convient pas. — Sa sœur a plus de sang-froid, mais on voit que tout l’ennuie ; elle joue lentement et sans intelligence : c’est une grande paresseuse qui vous ennuiera. — Mademoiselle P… tape, tape ! elle va casser le piano ; elle joue avec beaucoup de prétention et pas du tout en mesure : c’est une petite sotte qui se croit tous les talents ; fuyez-la bien vite. — Mademoiselle de X… vient de jouer ce quadrille dans la perfection : quel goût ! quel style ! quelle pureté de sons ! c’est une personne très-distinguée ; mais c’est pour elle, c’est pour se faire valoir qu’elle a joué ; elle s’est fort peu inquiétée des danseurs ; elle a joué deux fois la pastourelle, et puis, distraite par ses propres succès, croyant la figure achevée, elle s’est interrompue subitement en laissant tous les danseurs le pied en l’air, ce qui est fort désagréable. Je crains que mademoiselle de X… ne soit une personne un peu égoïste, et je ne vous conseille pas de vous attacher à elle. — Mais voilà une jeune fille bien jolie qui vient s’asseoir au piano ; écoutons ; son jeu, qui ne cherche point à être brillant, trahit cependant un talent véritable. Bien, très-bien !… de la douceur… de la fermeté et la plus scrupuleuse exactitude ; de la grâce et de l’aplomb : c’est parfait ! c’est un trait de caractère, pas une étourderie, rien d’oublié ; aussi voyez comme on danse avec plaisir au son de cette excellente musique ! que ces airs paraissent jolis ! Regardez donc la grosse madame T…, elle saute, elle devient presque légère : c’est un triomphe pour l’orchestre. Croyez-nous, demandez bien vite en mariage la jeune fille qui est au