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LETTRES PARISIENNES (1840).

Troisième épreuve : la comédie de société. — Tout est mystère dans l’art de jouer la comédie. Tel homme qui vous paraît, dans un salon, spirituel, élégant, charmant, vous semble, sur un théâtre, prétentieux, niais, ridicule ; et vous le voyez toujours ainsi malgré vous. Telle femme, au contraire, qui vous avait semblé, dans le monde, gauche, insignifiante et presque laide, vous apparaît tout à coup, sur le théâtre, gracieuse, piquante et vraiment jolie. La comédie est une grande épreuve qu’on ne doit jamais risquer qu’avec des indifférents. Quelqu’un même a dit à ce sujet : « Il ne faut jamais voir la femme que l’on aime jouer la comédie : si elle la joue mal, on se désenchante ; si elle la joue bien, on se désabuse. »

Quatrième épreuve : la lecture à haute voix. — Il y a des gens, des personnes très-bien élevées, qui ont une manière de lire si désagréable, si fatigante, si lourde, que vous les prenez en horreur à l’instant ; leur voix vous devient odieuse, vous ne voulez pas même les entendre parler, et vous finissez par trouver ridicule tout ce qu’elles disent. On ne sait pas assez tout ce qu’il y a de séduction dans l’art de bien lire.

Cinquième épreuve : la partie de chasse. — Un homme qui a de grandes prétentions et qui, dès le matin, se déguise sérieusement en chasseur, et qui revient le soir sans avoir rien tué, court les plus grands dangers. Dès le retour, il souffre d’être déguisé en Nemrod, n’ayant rien tué ; son humeur s’altère visiblement : il maudit sa veste, il maudit ses guêtres ; tous ces attributs sont autant de ridicules pour lui ; son fusil lui semble un fardeau cruellement inutile, son carnier désert lui paraît d’autant plus pesant qu’il est vide. Il est maussade, il est humilié. Il prévoit vingt questions embarrassantes. Si on lui dit : « Avez-vous fait bonne chasse ? » il vous lance un regard furieux et ne vous répond pas. Si ses compagnons le plaisantent, il leur décoche des traits mordants ; à dîner, quand on sert le gibier il devient rouge et baisse les yeux. On lui offre une aile de faisan, il la refuse avec colère ; il boude tout le monde, il a perdu sa bonne grâce et sa gaieté Il faut tant d’esprit pour savoir être malheureux à la chasse !

Sixième épreuve : la contredanse. — Ceci regarde les femmes, et plus particulièrement les jeunes personnes. Ô vous,