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LETTRES PARISIENNES (1840).

supporter toutes ces épigrammes et y répondre gracieusement comme si vous ne les aviez pas comprises. « L’esprit de conversation, direz-vous, a dû nécessairement mourir le jour où l’art de la parole est devenu un moyen de fortune ; on cause mal quand on s’écoute parler ; vous regrettez, madame, les aimables conteurs d’autrefois ; moi, je vais plus loin, je regrette les troubadours : la guitare et la harpe devaient prêter tant de charmes à leurs récits ! Quant à nos sentiments, madame, s’ils sont peu romanesques, ils sont du moins très-profonds ; nous soupirons moins, nous languissons moins, peut-être, que ne faisaient les jeunes gens de votre temps ; nous n’avons point de passions folles, mais nous sommes capables de dévouement sérieux. » Ces réponses suffisent pour vous aliéner sans retour la vieille tante ; les gens malveillants ne vous pardonnent jamais de n’être point déconcerté par leurs épigrammes. Ce n’est pas tout : l’ami de la maison vous tend des pièges du matin au soir ; il vous entraîne dans des prés marécageux, il vous fait passer dans des allées abandonnées, il vous envoie dans la figure toutes les branches qu’il a l’air d’écarter pour votre passage. Il raconte à déjeuner que vous vous levez tard et qu’il vous a entendu ronfler toute la nuit ; il rapporte sur votre compte toutes sortes de choses insignifiantes, mais destinées à vous nuire. La jeune femme à la mode, qui se pare pour vous de ses plus beaux atours et qui vous lance les regards les plus coquets, fait semblant de n’oser vous parler dans la crainte d’alarmer son amie. Ménagements cruels, offensants pour tous ; chacun est gêné, contraint, et la maîtresse de la maison elle-même, découragée, refroidie par tant d’obstacles sans poésie, ne trouve plus pour vous cet intérêt de coquetterie qui lui avait fait désirer si vivement votre présence. Vous avez perdu auprès d’elle presque tous vos avantages ; vous annoncez votre départ, et l’idée ne lui vient pas de vous dire : « Restez ; » car elle s’avoue que vous lui plaisez maintenant beaucoup moins qu’à Paris ; en effet, vous êtes moins aimable ; mais ce n’est pas votre faute, c’est celle des personnes qui l’entourent. Il est impossible d’être aimable à la campagne sans bienveillance et sans intimité.

Deuxième épreuve : le voyage. — L’épreuve du voyage est