Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 5.djvu/500

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
492
LE VICOMTE DE LAUNAY.

pouvoir, qui, le dos appuyé contre la cheminée, se tient debout, grave, silencieux, et daigne saluer l’un d’eux de temps en temps, quand l’huissier crie un nom par trop célèbre. Ce serait un prince du sang, ce serait l’empereur, ce serait le colonel Thorn lui-même, qu’on n’aurait pas plus de déférence et d’humilité. Vrai, le général Cavaignac est bien généreux de ne pas nous faire adorer son képi ou son cafetan au bout d’une perche, comme le farouche Gessler fit adorer son chapeau ; il ne se trouverait pas un Guillaume Tell français pour le jeter à terre.

Singulier pays, où l’on est à la fois si spirituel et si bête, si brave et si lâche !… Ici, excepté des balles, on a peur de tout. Ici, tout le monde a le courage de se faire casser la tête ; personne n’a le courage de la porter haut.

On s’attend à de violents orages parlementaires et politiques, et l’on prétend cette fois que c’est le paratonnerre lui-même qui lancera la foudre. Quelle horrible comparaison ! nous ne la pardonnerons jamais à notre illustre maître. Qu’est-ce que c’est qu’un aigle qui se ravale à l’état de paratonnerre ? L’aigle peut-il jamais troubler l’Olympe, et divertir les carreaux divins que Jupiter lui confie ? Pourquoi la ruse quand on a la force, pourquoi la fraude quand on a le droit ? La loyauté est l’attribut de la toute-puissance ; il ne faut jamais tricher au jeu, même quand on joue avec la foudre. Mais, hélas ! M. de Lamartine, comme homme d’État, a un grand défaut, un défaut qui a déjà perdu M. Guizot et qui le perdra lui-même, si le destin de la France ne le sauve pas : M. de Lamartine a la monomanie de l’habileté. Ses amis lui ont tant crié qu’il était poëte, rien que poëte, que maintenant il se défie de son inspiration, c’est-à-dire de sa véritable force. Il repousse l’idée qui lui vient pour courir après la combinaison qui lui échappe ; il est ingénieux ; c’est un oiseau de jour qui a la prétention de se faire oiseau de ténèbres : il s’imagine que c’est beaucoup plus habile d’y voir la nuit que de supporter l’éclat du soleil. Mais vienne une circonstance impérieuse, un beau danger qui le retrempe malgré lui dans sa nature, et l’homme de génie étouffera le factice homme d’État ; vienne l’aurore resplendissante, et l’aigle retrouvera son instinct glorieux. D’épaisses vapeurs l’enve-