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LETTRES PARISIENNES (1848).

grand poëte, c’est le millionnaire enfin, ces esprits élevés et expérimentés que l’habitude des joies factices du monde a ramenés aux sincérités de la vie. Dès que nous t’aurons dit leur secret, tu comprendras que leurs plaisirs peuvent devenir facilement les tiens.

Ne va pas croire au moins qu’en te disant d’envier les riches, nous t’engagions à aller dévaliser leurs hôtels !… Hélas ! tu recevrais là une leçon terrible ; tu rougirais en les voyant. Depuis que le mot pillage fait partie du vocabulaire politique, les hôtels fastueux sont vides… On t’attendait, on les a préparés pour ta bienvenue, on les a démeublés, dépouillés… L’argenterie… on l’a fait fondre ; les diamants, on les a envoyés en Angleterre ; les tableaux, ils sont en Hollande ; les vases de prix, les œuvres d’art sont en Belgique. Vas-y donc dans ces palais jadis superbes, que tes menaces ont faits nus et déserts ; entre, cherche, cherche partout, tu n’y trouveras rien, rien que le déshonneur !

Les plaisirs que tu peux dérober aux riches ne sont pas là, ils sont dans leur pensée, dans leurs cœurs, dans leur admiration intelligente. Nous te le répétons : Quand on a épuisé toutes les recherches de la civilisation, ce qui plaît, ce qui amuse, c’est la naïveté dans la nature, c’est la simplicité dans le vrai ; quand on a eu sa loge à tous les théâtres, qu’on a vu le golfe de Naples à l’Opéra, la mer des Indes à l’Ambigu, le port de Lisbonne à la Gaîté, le port de Marseille au Théâtre-Historique et le grand canal de Venise au Théâtre-Italien, veux-tu savoir ce qui plaît, veux-tu savoir ce qui amuse ? C’est d’être étendu sur un vrai rocher, à Sainte-Adresse ou à Étretat, et de regarder un vrai navire roulant sur une vraie vague, conduit par de vrais matelots.

Quand on a entendu tous les virtuoses du monde harmonieux, les Rubini, les Mario, les Malibran, les Grisi, et même les Damoreau, veux-tu savoir ce qui plaît, ce qui amuse ? C’est d’écouter le Ranz des vaches, chanté par un pâtre dans la montagne, avec l’accompagnement capricieux des clochettes de son troupeau.

Quand on a été millionnaire, quand on a ébloui Paris de son luxe, qu’on a eu les plus beaux chevaux, les plus beaux