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LETTRES PARISIENNES (1848).

de patience et de privations, et qu’il défendra jusqu’à son dernier jour. Demandez-lui sa vie, mais ne lui demandez pas son affreuse pendule d’albâtre, flanquée de deux affreux vases d’albâtre ornés de fleurs de papier et de deux affreux flambeaux d’albâtre ornés de bobèches de papier ; il appelle cela sa garniture de cheminée, et Dieu sait quels efforts il lui a fallu pour atteindre à ce luxe épouvantable !… que de chagrins passés représente cet encombrement d’albâtre ! que de tourments à venir il promet encore, car cet ornement fastueux excite la jalousie de sa société et de sa famille ! Par combien de soupçons injurieux, de propos amers, on fait payer à lui et à sa femme le bonheur de le posséder ! « C’est sans doute l’ami de la maison qui a offert cela ; c’est un présent de quelque protecteur ou c’est le prix de quelque service ténébreux ; » et tous ces propos amers, ces regards malins, ces admirations exagérées et pleines d’aigreur, veulent dire : « On n’a pas tant d’albâtre innocemment. »

Ô peuple ! si tu savais combien c’est laid ce que tu envies, tu pardonnerais au bourgeois son bonheur… Veux-tu donc le tuer pour avoir son affreuse commode d’acajou si incommode, dont le tiroir rebelle et fantasque ne cède jamais que pour tomber sur les pieds ? Veux-tu donc le tuer pour son affreuse armoire à glace difforme, pour son affreux ciel de lit d’acajou, rocher de Sisyphe qui menace toujours son sommeil ; pour son affreux bonheur-du-jour d’acajou, toujours boiteux ; pour sa cave à liqueurs d’acajou ; pour ses affreuses porcelaines aux couleurs hostiles, qui vous font grincer les yeux ; pour ces affreuses lithographies de pacotille… pour toutes ces choses si communes, si mal choisies, si laides, veux-tu donc le tuer ?

Va, pauvre ouvrier parisien, crois-nous, il y a cent fois plus de grandeur et de poésie dans la fière simplicité de ta mansarde que dans ce faux bien-être bourgeois ; et toi, déserteur ingrat du village, au lieu d’envier ce mauvais luxe parisien, rappelle-toi la digne et pauvre cabane de ta mère, le grand lit de bois de chêne sculpté où elle dormait sous ses rideaux de serge verte, la sombre armoire aussi de bois sculpté où elle serrait tes modestes habits du dimanche, le bahut élégant et