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LE VICOMTE DE LAUNAY.

Allez, fils de Caïn, disputez-vous la terre ensanglantée, mais n’exigez pas que les enfants d’Abel se mêlent à vos combats hideux ; laissez-nous emporter sur la Montagne sainte l’encens purifié qui se souillerait sous vos pas, le feu sacré qui s’éteindrait au souffle de vos haines, ou, si nos plaintes vous fatiguent, si nos regards trop clairvoyants vous importunent dans vos mutuelles iniquités, levez sur nous la bêche fratricide, nous l’attendrons sans pâlir : notre choix est fait, nous aimons mieux être vos victimes que vos complices. Frappez sans remords, nous vous bénirons en tombant, frères jaloux ! Il est beau de mourir pour avoir déplu aux méchants ; il est beau de mourir pour avoir été agréable à Dieu !

Eh quoi ! dans cette France glorieuse, dans cette patrie du dévouement, dans ce berceau de la chevalerie, le sang coule… le sang coule à grands flots… et ce n’est pas pour la défense de la nationalité menacée,

De la religion profanée,

De la liberté violée,

De la vérité étranglée !

Non ! Ce n’est pour aucun de ces nobles mots de poëte, de philosophe, de penseur, de héros… C’est pour un vilain mot de notaire, de procureur, de recors : le sang coule dans ce vaillant pays de France pour l’attaque et pour la défense de la propriété !

Honte au siècle ! honte au peuple ! honte au pays qui a vu couler un sang généreux pour une telle cause !

La propriété ! défendre la propriété !… et contre qui ? Contre des voleurs ? — Contre des utopistes, des égalitaires, des gens qui ne possèdent rien, et qui, pour se consoler, veulent obtenir que personne au monde ne possède rien non plus ? Cela s’appelle des radicaux, c’est-à-dire des envieux qui ne vous permettent jamais d’avoir que des racines. Point de tige, point de rameaux, point de feuillage, point de fleurs et point de fruits ; des racines tant que vous voudrez, à condition qu’elles ne pousseront pas. De même ils vous permettent d’acquérir, pourvu que vous ne possédiez rien. Et ils se passionnent pour votre ruine, et ils se font tuer pour empêcher les propriétaires de posséder… et les propriétaires eux-mêmes se font tuer